Comme Alain Minc, un parangon de l'élite moisie, Jacques Attali possède son petit atelier de recherche, mais contrairement au premier, il sait remercier. Cette organisation lui permet un rythme quasi annuel de production, ce qui ne peut être compatible avec un bon niveau de qualité, notamment en économie. Nous allons le vérifier avec « Tous ruinés dans dix ans ? Dette publique : la dernière chance » (Fayard, mai 2010, 272 pages, 15,90 €).
L'introduction remplit son office, notamment quand elle plonge le lecteur dans la tourmente actuelle : « Même sans hausse des taux, les intérêts payés sur la dette publique par les pays riches feront plus que doubler entre 2007 et 2014. » (p.18) Toutes choses évoluant pareillement, ce qui nous attend sera pire, mais il n'est pas possible de dire quand le cataclysme surviendra ; cependant les économistes savent qu' « aucun ratio n'est pertinent pour prédire le déclenchement d'une crise, si ce n'est, peut-être, la part du service de la dette dans le budget : lorsqu'il atteint 50 % des recettes fiscales, le désastre est inévitable. » (p.20)
Les chapitres 1 et 2 racontent l'histoire de la dette à travers les âges : un survol intéressant, traité en 58 pages, qui nous éloignent de la question posée. Le chapitre 3 titré "le peuple souverain" réussit la gageure de parcourir le XXe siècle dans le monde en 17 pages, en picorant par-ci par-là des événements liés à la question des dettes.
Page 101, nous arrivons au sujet (chapitre 4 : le grand basculement) :
« Alors que le PIB américain a été multiplié par 8,75 en valeur nominale entre 1975 et 2007, la dette privée s'est trouvée multipliée par 20 et la dette publique par 3. Fin 2007, la dette totale des Américains (tous agents confondus) atteint 350 % du PIB, soit plus qu'en 1929. » (p.102)
Été 2008, la crise des subprimes met en péril le système bancaire : les États et les Banques Centrales évitent l'effondrement général soit en socialisant les pertes privées pour les uns, soit en créant de la monnaie pour les autres, soit les deux. Autrement dit, une boule de dette considérablement grossie poursuit sa descente infernale.
Ce qui est ahurissant dans ce livre ? L'économiste Jacques Attali ne s'interroge en aucune manière sur le financement exclusif de l’État par le Marché. Pire, il n'explique pas à ses lecteurs :
Le 22 décembre 1972, le "sinistre ministre"(sic) Valéry Giscard d'Estaing signe une loi qui interdit à l’État de créer de la monnaie pour financer sa dette ou ses investissements (Cf. article 25 de la "Loi de 1973"). Au cœur de l'euro et des traités européens, l'article 123 du traité de Lisbonne (anciennement 104 de celui de Maastricht) « qui interdit à la Banque Centrale Européenne comme à ses succursales nationales de prêter directement aux États et à leurs émanations ». http://www.alexandreanizy.com/article-nicolas-dupont-aignan-et-le-scandale-france-tresor-ii-72290174.html
Le chapitre 5 énumère les 12 leçons relatives à la dette souveraine, et cela commence mal puisque l'éminent conseiller écrit que
« la dette publique est une créance des générations actuelles sur les suivantes, lesquelles finissent toujours par la payer d'une façon ou une autre ».
En effet, lorsqu'il y a création d'une dette à un instant t, nous avons face à face 2 personnes (physiques ou morales), le débiteur et le créancier : primo, à l'instant t les générations futures sont absentes de facto ; secundo, toute dette suppose une créance d'une valeur égale ; tertio, les générations futures vont donc hériter de la dette et de la créance.
Le VRAI problème pour chaque génération futuresera de décider de la redistribution des ressources de la société entre ses membres : par exemple, si un gouvernement futur décide de taxer à 100 % tous les titres reçus en héritage, alors le fardeau disparaît complètement (extinction simultanée de la créance et de la dette). Si on entretient la confusion entre dette de la France et dette des administrations publiques, il est bon de rappeler qu'en 2007 c'est la France qui détenait une créance sur le reste du monde, de l'ordre de 10 % du PIB. Le chapitre 5 débute donc par une leçon fallacieuse.
Les autres leçons sont d'intérêts divers, relevant plus de l'approche comptable que de l'économique : d'abord, que la dette peut être très utile à la croissance ; qu' « en s'endettant, le souverain se met progressivement entre les mains des marchés » (p.118) ; que les déficits intérieurs et extérieurs sont très liés car
« un déficit de balance des paiements révèle donc qu'il a été nécessaire de faire rentrer des capitaux pour financer un déficit du secteur privé (cas de l'Espagne) ou un déficit du souverain (cas de la Grèce), voire les deux (cas des USA) » (p.119) ;
enfin qu'une dette est d'autant plus soutenable qu'elle est financée par l'épargne domestique, comme le montre le Japon où la dette publique est supérieure à 200 % du PIB !
Dans le chapitre 6, l'auteur déroule le scénario du pire, à savoir la ruine de tous. Pourquoi ? D'abord l'alourdissement de la dette souveraine qui devient un surendettement souverain (apprécions le glissement sémantique) : « En 2020, cette fois selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la dette publique dépassera les 200 % du PIB en Grande-Bretagne, et les 150 % en Belgique, en France, en Irlande, en Grèce et en Italie. A taux d'intérêt constant, les charges d'intérêt représenteront alors 10 % du budget de ces États, jusqu'à 27 % pour le Royaume-Uni. » (p.142)
Le problème, c'est que tous ces chiffres avancés comme autant de signaux d'alarme avant la faillite générale voient leur soi-disant dangerosité réduite à néant par l'éminent conseilleur lui-même :
« Mais qu'est-ce qu'une augmentation "excessive"de la dette publique ? Nul ne le sait. » (p.157)
Et en premier lieu, les économistes.
Alors le brillant Jacques Attali prend le tonneau de la dette souveraine par les normes … (à suivre)
Alexandre Anizy
: ce choix politique aurait un inconvénient certain, à savoir la difficulté pour l’État de trouver des créanciers dans les générations futures, mais aussi des avantages.