L'écrivailleur Morgan Sportès optimise ses recherches, aussi bien celle sur Pierre Overney avec son Maos que celle relative à la Japonaise (l'avouera-t-il ?).
Ayant fréquenté ardemment un de ces jobards maos (l'éditeur), par obligation professionnelle au moins, Morgan Sportès a tenu à faire fructifier ses travaux de recherche sur L'organisation (la Gauche Prolétarienne des clowns Benny Lévy etc.) : or l'accumulation littéraire, comme la capitaliste, a ses effets néfastes, notamment celui de la répétition qui engendre l'ennui. Pour y pallier, MS invente des situations grotesques dans un scénario improbable... ce qui déconsidère pour le coup l'ensemble du travail !
On oubliera vite Maos, ce roman catastrophique, même si on a apprécié quelques portraits au vitriol, comme celui de l'éditeur :
« Quoique ancien normalien, il lui avait fallu pas moins de dix ans, dix ans de pénitence après... après tout ça... pour accepter de commencer à lire les Mémoires d'outre-tombe du romanticoréac Chateaubriand. Sartre n'avait-il pas pissé sur sa tombe ? Pouvait-on lire un bonhomme sur le cadavre duquel Sartre avait pissé ? La pisse sacrale de Sartre n'était-elle pas un irrévocable non licet ? Il avait toute son oeuvre, à Sartre, entassée en désordre dans une pièce de leur nouvel appartement, en attente d'étagères, avec bien d'autres livres : Marx, Lénine, Staline, Lin Piao, Georges Bataille, Jean Genet, Althusser, Lacan, Robbe-Grillet, Foucault, Barthes, tous ses documents de l'époque, tracts, journaux, et quelques autres babioles modestes qu'il avait traînées de piaule en piaule pendant des années de débine, avant qu'il se range des voitures, qu'il accepte enfin de vivre ! » (p.16/257) ;
ou d'autres :
« ― Et Jeannot, s'exclama Babeuf, se cognant à son tour aux accoudoirs de son coquetier ( «Aïe !»), Jeannot à qui on a fait il y a cinq ans des obsèques nationales dignes de celles de Victor Hugo, avec un cortège de deux cent mille badauds progressistes, dont tout le gratin politique et artistique de gauche, qu'est-ce que c'était Jeannot au fond, une brute bornée stalinisée, un cogneur pavlovisé : et on l'a enterré au Père-Lachaise à côté de Wilde...
― Et de Jim Morrison, dit scandalisée, une journaliste de Femmes de notre temps, Annette, la rousse, spécialiste de la rubrique showbiz. » (p.76/257)
L'aphorisme que MS place en exergue d'un chapitre vaut toujours son pesant d'or :
« A notre époque les hommes sont divisés en deux groupes, les héros c'est-à-dire les imbéciles, et les salauds c'est-à-dire les personnes intelligentes. » M. Gorki, les Petits-Bourgeois, 1902 (cité page 36/257)
Ne voulant pas estimer Morgan Sportès sur ce roman désastreux, nous choisîmes Rue du Japon, dans lequel il raconte une amourette érotico-contractuelle (éditions du Seuil, janvier 1999, disponible en livrel) : s'instaure une crudité du sexe dans des scènes sophistiquées. Pour gommer une inconsistance originelle ? En tout cas, l'écrivailleur Sportès a une belle plume :
« Allongé sur mon canapé 1925 en velours râpé et patiné par les ans, les pieds posés sur un accoudoir, je continuais de feuilleter mon livre d'estampes ; (...) Parmi toutes les images de mon livre, il y en avait une sur laquelle je revenais régulièrement, de Hashiguchi Goyo : une jeune femme mince et nue, accroupie au sol, mais de façon que sa cuisse gauche cachait son ventre et sa toison (seul un sein menu était visible) et penchée, l'air absent, sur une bassine de bois où, de ses deux mains, elle tordait une sorte de mouchoir mouillé blanc et bleu dont on pouvait supposer, mais la chose n'était que suggérée, qu'elle venait de s'éponger le sexe - les draps défaits d'un lit traditionnels japonais, qu'on apercevait en arrière-plan, laissant entendre qu'elle y avait fait l'amour. » (p.30-31) ;
et puis :
« Moins d'un an plus tard, nous étions revenus sur nos pas, piétinant les ombres mauves des marronniers du Luxembourg. En entrant dans le jardin, par la rue Guynemer, elle avait vu, accrochée au portail, une pancarte arborant le dessin stylisé d'un chien, barré d'un trait rouge :
― C'est interdit aux Potis, avait-elle dit. Il faut me mettre en laisse. » (p.335)
Terminus sera le point d'achèvement.
Alexandre Anizy