Tentons d'expliquer le suicide politique du héraut de la "gauche UMPS" sans tirer sur l'ambulance.
Depuis 6 ans, l'écart entre la valeur intrinsèque de Dominique Strauss-Kahn et sa valeur marchande (exprimée par le prix en économie, par le niveau de satisfaction dans les sondages en politique), ce qu'on appelle une bulle, avait atteint un niveau élevé : « Cette enflure, nourrie jusqu'à la nausée par des chroniqueurs qu'on croirait avoir été engagés comme fonctionnaires chez DSK, a quelque chose d'obscène. » Jean-Pierre Dupuy (le Monde 24 octobre 2010)
La base solide de cette enflure serait l'expertise de DSK en matière d'économie. Qu'en est-il exactement ?
En tant qu'économiste théoricien, Dominique Strauss-Kahn brille surtout par la modestie de ses publications dans les revues spécialisées : si l'on retient ce critère, l'expertise économique de DSK fait pschitt, comparée à celles de Ben Bernanke (patron de la Fed) ou bien de Larry Summers (ex conseiller à la Maison Blanche).
En tant qu'économiste praticien (comme ministre en charge de l'économie, ou bien comme Directeur du FMI), on peut là aussi douter de l'expertise si on se réfère à quelques faits :
laisser faire le hold-up de la famille Lagardère lors de la création de la société EADS (lire http://www.alexandreanizy.com/article-7183428.html ) ;
ne pas avoir réduit les déficits et la dette publique quand il en avait les moyens économiques sous l'ère Jospin ;
avoir déclaré en octobre 2007 que « la crise ne devrait pas avoir d'effet dramatique sur la croissance mondiale. La situation est maintenant sous contrôle. », alors que tout ne faisait que commencer … ;
étrangler la Grèce pour mieux protéger le milieu bancaire, comme les 35 heures ont été organisées pour le plus grand profit des grands groupes industriels.
Si le passif est garni, nous ne mettons rien à son actif.
« La bulle DSK s'est formée comme se forment toutes les bulles. L'ignorance et la manipulation ont joué leur rôle, mais aussi la mécanique spéculaire du désir et de la fascination. (…) Son mutisme même est le signe qu'il détient un secret sur notre destin. » (Jean-Pierre Dupuy, idem)
Or il n'y a pas de secret.
« Si notre homme est expert en quelque chose, c'est dans l'art de manipuler les machines désirantes. (...) Le désir est panurgique, il le sait. » (Jean-Pierre Dupuy, ibidem)
DSK l'oracle muet devait prendre la parole pour descendre dans l'arène politique. Que fait-il ? Un acte qui empêche sa déclaration.
Il nous semble que Luis de Miranda a donné une excellente interprétation de l'affaire DSK au Sofitel de New York : « Mais un tel passage à l'acte, à un tel moment de sa biographie, ne peut être que volontaire. J'ajoute qu'il est héroïque. Cette chute, il l'a voulue, il l'a désirée. L'esprit en lui s'est allié à l'animal pour effondrer d'un geste vif la machine qui s'édifiait autour de lui, telle une prison prévisible et dangereuse. » (dans Libération du 16 mai 2011)
« DSK est un personnage philosophique, un symptôme de notre temps (un « saint homme » dirait Lacan), en ce qu'en lui bestialité et rationalité luttent à l'extrême. (…) Comme président, il aurait été dangereux et, au fond, il le savait : une sorte d'hyper-Sarkozy, celui-ci étant déjà passablement pulsionnel. » (idem)
Il faut souligner qu'après la Porsche (1er acte manqué), l'assaut d'une ouvrière de l'hôtellerie est un geste de libération totale puisqu'il révèle dans le même mouvement la non appartenance à la gauche.
En fait, « (…) la raison a triomphé de l'animal. L'étincelle spirituelle qui germe au fond de DSK a voulu nous éviter un président calligulien. » (ibidem) Luis de Miranda remercie donc l'héroïque DSK pour son geste de renoncement à une superpuissance annoncée.
Nous n'irons pas jusque là.
Alexandre Anizy