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Le ciel de Franck Bouysse

Publié le par Alexandre Anizy

Les personnages de Franck Bouysse dans Grossir le ciel (La manufacture de livres, décembre 2014, 199 pages, 16,90 €) font penser aux campagnards de Marie-Hélène Laffont, un écrivain que nous apprécions.

Mais Bouysse ne laboure pas dans le même champ littéraire.

Alexandre Anizy

Résonance Jean-François Mathé et Alexandre Anizy

Publié le par Alexandre Anizy

C'est un pur moment de poésie : créés avec plus de 30 ans d'écart (1), deux poèmes de Jean-François Mathé et Alexandre Anizy nous paraissent en résonance de par la couleur de l'ambiance et le ton du décor.

Avant la suite

J'ai mis du rouge aux lèvres des mots

et je suis sorti dans la rue livide

à l'heure où les chiens se disputent

des lambeaux de clair de lune,

à l'heure où l'on entend les pas

de ceux qui vont fusiller

s'ils trouvent un fusil.

Des prostituées ont embrassé

les lèvres rouges de mes mots

puis me les ont rendues

en me disant que mieux valait

les poser sur les lèvres de femmes

qui serrent la nuit dans leurs bras

à défaut d'amant ou d'enfant.

Jean-François Mathé

La vie atteinte (éditions Rougerie, 2014)

Iceberg (2)

Au zinc d'un rade glauque

Une femme usée s'accroche

Elle a les cheveux en broussaille

Et le visage boursouflé

Par l'alcool et les nuits blanches

Tu l'imagines

Gros lot de la tombola des malheurs

Ce soir elle cherche de la chaleur humaine

En complément du soupirail

Elle a la voix éraillée des gens

Qui subissent leurs identités

Cette femme est un iceberg

Dont tu ne connaîtras qu'une partie infime

Alexandre Anizy

Lumières froides (éditions ARC, novembre 2015)

(1) Concernant le poème de Jean-François Mathé, nous faisons l'hypothèse d'une conception en 2010.

(2) Poème écrit vers 1978.

De la douceur de Brantôme

Publié le par Alexandre Anizy

Aux temps jadis, certains féodaux maniaient aussi bien l'épée que la plume : guerroyer, servir, séduire, baiser, n'était-ce pas in fine une question de pouvoir et domination ? De Brantôme (vers 1540 - 1614), ils restent des écrits rassemblés dans la Pléiade, notamment ses poésies. Dont celle-ci (page 754).

Doulce Limeuil et douces vos façons,

Douce la grace et douce la parolle,

Et doux vostre oeil qui doucement m'affole

Et faict en moy douces mes passions ;

Doux vos regards, douces voz actions,

Doux l'entretien et douce la main molle,

Douce la voix qui doucement me volle

L'ame et le cueur de ses doulces chansons ;

Doulce la bouche et doulce la beauté,

Doux le maintien, doulce la cruauté

Et doux le mal qu'il faut, pour vous, souffrir

Depuis qu'en vous on voit tant de doulceurs.

Faictes, au moins, que quand pour vous je meurs

Je puisse un peu plus doucement mourir.

De la douce répétition montent le frisson de la sensualité et l'engourdissement de la mort.

Alexandre Anizy

La guerre d'Aleksandar Gatalica

Publié le par Alexandre Anizy

Le savoir-faire architectonique de l'écrivain serbe Aleksandar Gatalica éclate dans une fresque romanesque que les éditions Belfond viennent de sortir en 2015 : A la guerre comme à la guerre (en livrel à 15,99 € - trop cher !). Seulement voilà, en nous limitant à l'ex-Yougoslavie d'aujourd'hui et en mettant de côté le simple plaisir d'une lecture agréable, que nous apporte ce tableau impressionniste sur 14-18 ? Pas grand-chose.

Sur la guerre et sur l'ex-Yougoslavie, les romans de Slobodan Selenić (1) en disent plus.

Alexandre Anizy

(1) Lire nos billets relatifs à Slobodan Selenić :

http://www.alexandreanizy.com/article-sous-le-soleil-de-slobodan-seleni-46906180.html

et puis

http://www.alexandreanizy.com/article-autre-chef-d-oeuvre-de-slobodan-seleni-meurtre-avec-premeditation-62977618.html

et encore

http://www.alexandreanizy.com/article-ces-deux-hommes-de-slobodan-seleni-71321657.html

La juste bataille du général Vincent Desportes

Publié le par Alexandre Anizy

Le général Vincent Desportes file un mauvais coton : voilà qu'il s'adresse maintenant aux Français pour dire la vérité sur l'état dégradée de notre armée, dans un livre titré La dernière bataille de France (1) (Gallimard, octobre 2015, 199 pages, 21 €). Le monde et les hommes changent, et Vincent Desportes n'y déroge pas, lui le jeune lieutenant arrogant de Tübingen n'ayant que les "valeurs occidentales" à la bouche semble avoir jeté par-dessus bord la prudence indispensable à toute carrière militaire. Il est vrai qu'il ne doit plus attendre grand-chose de ce côté-là, ayant été mis sur écoute par les "services de l'Etat" et viré de son poste de commandant du Collège Interarmées de Défense (appelé aujourd'hui l'Ecole de Guerre) : c'est donc un homme plus libre qu'autrefois qui parle en connaissance de cause.

Le premier chapitre est une illustration particulière du mensonge général de la classe politique française : ce qu'ils nomment Lois de programmation militaire consistent surtout à déprogrammer, i.e. ratiboiser les moyens budgétaires de ce ministère. Deux indicateurs suffisent pour comprendre l'élagage ininterrompu depuis 30 ans : « Le budget de la défense est égal aujourd'hui, en euros constants, à ce qu'il était en 1982, alors que la richesse nationale s'est accrue de 77 % entre 1982 et 2014. (...) Si l'on s'intéresse à ce que représente la défense par rapport au PIB, on constate (hors pensions de retraite) qu'elle représentait 3 % du PIB en 1982, pour 1,7 % en 2011 puis 1,44 % en 2015. » (p.23)

Nous nous attendons alors à un développement des arguments avancés par l'auteur lors de la publication du Livre blanc 2013 de la Défense, que nous avions aussi critiqué dans notre billet ci-dessous :

http://www.alexandreanizy.com/article-l-abandon-de-la-securite-nationale-118033737.html

Pendant que les "détrousseurs de Bercy" œuvrent à la paupérisation de l'armée, celle-ci doit financer sur son propre budget une partie des opérations que l'Etat n'a pas budgétée. Quelle conséquence ?

« (...) du fait de leur sous-calibrage initial, les forces ont le plus grand mal à remplir leurs missions et agissent en opposition flagrante avec un principe premier de la guerre, le principe de masse et de submersion. L'action, exécutée à moyens comptés, tarde à produire ses effets et coûte, au final, beaucoup plus cher. Ainsi, les forces sont conduites à mener des opérations séquentielles et non parallèles. C'est l'exemple de Sangaris : d'abord la Séléka, puis les anti-balaka, pas d'actions simultanées sur l'ensemble du territoire, ce qui favorise la constitution de zones rebelles et prolonge d'autant la résistance, rendant même certaines situations difficilement réversibles. La force française y perd son efficacité et son caractère d'impartialité. » (p.35)

Pour les moyens chiches ou non, sources de gabegie et de gâchis, donnons deux exemples :

« (...) les moteurs des hélicoptères Caracal des forces spéciales n'ont une durée de vie que de quelques dizaines d'heures dans le sable et la poussière du Sahara. Et chaque moteur coûte 700.000 euros ! » (p.100) ;

« Pourquoi, en une quinzaine d'années, changer 4 fois de missiles pour passer, entre 1997 et 2020, du M45 au M51.1, puis au M51.2, puis au M51.3 ? Etre capable de raser Pékin est-il d'un intérêt stratégique pour nous ? Le stock minimal de nos têtes ne serait-il pas encore "suffisant" s'il descendait au-dessous du niveau de 300 auquel nous le maintenons ... ? » (p.116) [ quand la Chine en possède seulement 240, le Royaume-Uni 220 avec un objectif de 180 en 2020 ]

Autrement dit, on utilise les armées comme des kits expéditionnaires capables de projection de puissance, qui ne transforment pas leurs victoires initiales en succès stratégiques et politiques du fait de leurs retraits prématurés ou partiels.

Avec toujours plus d'opérations et moins de moyens, où va-t-on ? « Le ministre de la Défense le révélait en juin 2014 : le niveau d'entraînement des forces françaises se situe au-dessous des normes internationalement admises (15 à 20 % au-dessous des normes de l'OTAN dont nous entendons pourtant être le bon élève !), alors même que la première protection des combattants est la qualité de leur préparation opérationnelle. » (p.31) Quant à la disponibilité technique des systèmes d'armes, il s'établit en moyenne à 50 %.

« Sous l'empire de la pensée dominante et de la disette budgétaire, nous avons structuré nos armées pour des guerres doctrinalement courtes ; or nous conduisons des guerres concrètement longues. » (p.30)

On a faux sur toute la ligne comme en 1940, avec Maginot contre les chars de Guderian...

Sur ce premier chapitre, deux critiques s'imposent. D'une part, force est de constater que Vincent Desportes est lui-même sous l'emprise de la pensée dominante quand il répète que le redéploiement de la dépense publique au détriment de l'effort de défense était un choix d'arbitrage compréhensible, puisqu'il évitait "la restructuration profonde des programmes d'aides sociales", mais que "ce choix, raisonnable hier, ne l'est plus aujourd'hui". Ah ! ces salauds de pauvres ! Dans la même veine néoconservatrice, il répète péremptoirement : « l'Etat providence a cannibalisé l'Etat régalien et l'a délégitimé. » (p.78) Pour comprendre ce propos sans un début de démonstration, le lecteur devra se reporter à la propagande hebdomadaire des chroniqueurs comme Nicolas Baverez, Jacques Attali, et même Christine Kerdellant...

D'autre part, l'auteur aurait pu nous épargner les welfare, warfare, soft power / hard power, "first in, first out", hit and run, etc., et même la pyramide de Maslow (2), mais surtout l'évocation racoleuse (suggérée par l'éditeur ?) des passagers du vol Germanwings 9525 Barcelone - Düsseldorf du 24 mars 2015, parce que la loi du genre littéraire n'excuse pas tout.

Venons-en au chapitre 3, qui traite de l'illusion américaine et du piège de l'OTAN. Ce que De Gaulle avait déjà compris dans les années 50 semble bigrement échapper aux esprits en charge de la sécurité de la France. Bien que nul n'ignore le basculement du centre de gravité du monde vers le Pacifique, l'Europe compte pour sa défense de plus en plus sur les Etats-Unis et leur réflexe héréditaire d'aide à la "terre des ancêtres" qui disparaîtra vers 2040, quand la population d'origine européenne de ce grand pays deviendra minoritaire. Si « la défense de l'Europe, c'est l'OTAN », ce qu'on entend quasiment partout, qu'adviendra-t-il quand les Etats-Unis qui financent cette organisation à hauteur de 75 % entameront leur vrai repli, qui pourrait être extrêmement rapide ? L'Europe n'aurait plus qu'une armée creuse.

Pire que ça :

« [ L'OTAN ] est devenue désormais plus dangereuse qu'utile (...) , elle promeut une guerre dite "transformée", idéalisée par les planificateurs de l'Allied Command Transformation de Norfolk. Or, on comprend aujourd'hui que cette "guerre transformée" n'est que l'une des faces possibles de la guerre, que cette vision aussi hautement technologique qu'outrancièrement onéreuse nous prive par effet d'éviction des moyens de gagner les guerres réelles, les guerres combattues tous les jours de la Mauritanie au nord de l'Irak. L'OTAN nous aide à gagner des batailles ; elle nous prive des moyens de gagner les guerres et constitue finalement le meilleur obstacle à l'édification d'une défense commune européenne indépendante ! » (p.59)

Malgré un réquisitoire argumenté, l'auteur ne se résout pas à prôner la sortie de l'OTAN. Il se place même au milieu du gué alors que le torrent de l'Histoire va déferler sur la France : « L'OTAN ? oui, mais profondément transformée, sans primus inter pares et dans laquelle les Européens seraient au minimum "l'actionnaire majoritaire". » (V. Desportes, dans les Echos du 27 octobre 2015) Sur le rivage de Seine, Desportes voudrait bousculer l'establishment pour mettre à l'ordre du jour de l'organisation américaine une réforme contraire aux intérêts des Etats-Unis, un peu comme ces économistes effarés qui demandent une réforme de l'euro contraire aux intérêts du maître et concepteur de cet outil monétaire, i.e. l'Allemagne. La realpolitik n'est décidément pas française.

Doit-on écarter la chimère d'une "défense européenne" à laquelle Vincent Desportes semble porter le coup de grâce, comme un rapport récent du Sénat (3) ? « (...) il n'existe pas de défense européenne, il n'existe pas d'armée européenne car il n'existe pas d'union politique, de communauté de vision, pas même cette communauté d'intérêts indispensable à la conception d'un outil de défense commun. » (p.61) Non, puisque Vincent Desportes réaffirme ailleurs : « Notre horizon doit être l'Europe de la défense. » (les Echos du 27 octobre 2015)

Dans ces conditions, le discours de Vincent Desportes est incohérent : alors que l'Europe de la défense est une impasse conceptuelle, que sans les Etats-Unis l'Europe aurait une armée creuse en l'état actuel des choses, il souhaite une réforme de l'OTAN qui est stratégiquement le meilleur obstacle à la construction des armées nationales indépendantes en Europe.

Seule la sortie de l'OTAN rendrait cohérente la perspective que Vincent Desportes semble esquisser. Comme il ne l'envisage pas, force est de constater son impasse. Pourtant en matière de stratégie, il s'est montré d'un meilleur niveau avec son livre La guerre probable :

http://www.alexandreanizy.com/article-la-guerre-probable-selon-vincent-desportes-116031869.html

Pour finir, en ce qui concerne la Russie, Vincent Desportes montre là aussi un suivisme préjudiciable à son analyse. En effet, on ne peut pas écrire :

« Ce grand pays - qui se voit refuser le droit à la sûreté stratégique - s'est senti à la fois humilié et menacé par les menées américaines : tentative d'encerclement par l'Asie centrale, élargissement de l'OTAN jusqu'à ses frontières, déploiement -forcément ressenti comme agressif - du bouclier antimissile. » (p.49) ;

et dire en même temps :

« Ce fut enfin notre participation, justifiée [c'est nous qui soulignons], au renforcement de la posture de l'OTAN face aux menées de la Russie dans l'Est européen. » (p.28) ;

à moins d'accepter les raisonnements illogiques.

Selon Vincent Desportes, « des voix citoyennes doivent s'élever » pour alerter les Français : la sécurité du pays est au bord de l'inexistence (forcément relative). Le général est entré en dissidence, feutrée car il n'oublie pas de flagorner les gens de son rang militaire, notamment 3 anciens chefs d'état-major, et une sénatrice, ainsi que le président culbuto molletiste. Nonobstant cette pusillanimité, sur ce terrain de manœuvre politique, mieux qu'autrefois sur ceux de Mailly-le-camp et de Valdahon, nous pouvons combattre ensemble pour que nos enfants ne périssent pas de l'impéritie de la classe dominante ... dont l'auteur reproduit par ailleurs le discours.

Alexandre Anizy

(1) Le titre est très mal choisi. Evoquant la bataille de France de 1940, quand l'incompétence crasse de l'état-major français (les Gamelin, Weygand, Billotte, etc.) mit la touche finale à ce que l'historien Marc Bloch a décrit dans L'étrange défaite (folio histoire, 326 pages),

« Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l'empire, ne la servent qu'à contrecœur. » (Marc Bloch, L'étrange défaite, folio histoire, p.193)

[ Ainsi les agissements des banksters comme Macron et Villeroy de Galhau, des patrons d'entreprise comme Begoügne de Juniac et Kron, nous inclinent à penser que la France est à nouveau malade. ]

Vincent Desportes aurait dû éviter les louanges corporatistes, perçues comme pro domo :

« Un des avantages essentiels des armées françaises réside dans le haut niveau de compétence et de professionnalisme de leurs cadres : c'est un facteur majeur d'efficacité au cœur de la paupérisation, cette excellence ayant un effet démultiplicateur indéniable. » (p.33)

(2) Puisque pyramide de Maslow il y a, on peut s'interroger sur le besoin qui anime Vincent Desportes : une contestation un tantinet bravache pour reconquérir l'estime ?

(3) Dans ce rapport cité en référence (p.61), il est dit selon V. Desportes que l'Europe de la défense est une impasse conceptuelle.

L'île de Natsuo Kirino

Publié le par Alexandre Anizy

Comme Donna Tartt, le populaire écrivain japonais Natsuo Kirino finit difficilement cette robinsonnade titrée L'île de Tôkyô (Seuil, avril 2013, 282 pages, 22,50 € ; traduction de Claude Martin) : du coup, on en garde un souvenir amer.

Alexandre Anizy