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Attendre l'heure avec Alice McDermott

Publié le par Alexandre Anizy

            Le prix Femina étranger a honoré Alice McDermott pour un roman de qualité : La neuvième heure (Quai Voltaire / La Table ronde, 2018, en livrel).

 

 

             Soeur Illuminata humidifia la nappe. Ces temps-ci, elle utilisait une vieille bouteille de Coca-Cola avec un bouchon en caoutchouc perforé. Elle lécha le bout de son doigt abîmé et vérifia la température du fer. Puis s'attaqua à la nappe avec d'amples mouvements de bras, actionnant son coude comme un soufflet. « Tous les matins, nous envoyons des soeurs immaculées de par les rues, n'est-ce pas ? Un tissu propre à appliquer sur le monde souffrant.  (p.107/287)

            Nous avons pioché au hasard cet extrait pour montrer en quoi ce livre est important : un style exceptionnel, différent de celui de James Salter (ici) bien sûr, mais aussi remarquable (saluons au passage la traduction de Cécile Arnaud).

 

            Alice McDermott dit avoir une grande admiration pour Charles Dickens, notamment pour ses romans sociaux (1). Si nous voyons l'influence dans ce roman, la question demeure : n'y aurait-il pas de misère dans l'Amérique profonde d'aujourd'hui ? 

 

            Quoiqu'il en soit, nous aimerions tant que des milliers d'enfants écoutent leurs mères lisant La neuvième heure plutôt que Le Figaro Magazine ou Paris-Match.

  

 

Alexandre Anizy

Du Lucrèce de Pierre Vesperini à la poésie objective

Publié le par Alexandre Anizy

            Dans un livre savant, dont le propos limpide et l'écriture délicate nous ont surpris, Pierre Vesperini décrypte le De rerum natura de Lucrèce, bouleversant ainsi le champ des études épicuriennes. Et suite à une relecture récente de Verlaine, en passant par Rimbaud nous en arrivons à la poésie objective.

 

 

            « La philosophie d'Epicure est couramment présentée comme la plus moderne de toutes les écoles athéniennes. (...) En réalité (...) la philosophie épicurienne était la plus archaïque des écoles athéniennes. » (p.15) Plaçant son travail de recherche dans une démarche anthropologique, Pierre Vesperini situe le Jardin d'Epicure par rapport aux autres écoles : d'une part, alors qu'elles proposaient toutes d'honorer les dieux ( leurs cultes étaient leurs projets, résumés par un mot grec theothènai , i.e. "devenir dieu ; « Devenir dieu consistait à se hisser au-dessus de cette condition [humaine] comme l'avaient fait, selon les histoires que chacun connaissait, bien des héros de la mythologie : Héraklès, Castor et Pollux, Asclépios, Dionysos, Ménélas, etc.» (p.16) ), le culte du Jardin était Epicure lui-même, célébré chaque jour de l'année, parce qu'il se considérait comme un sage (sophos) qui devait être vénéré, pour le grand bien de celui qui vénère, s'inscrivant ainsi dans la tradition archaïque du sage comme "homme divin" theios anèr), mais à l'époque archaïque, les sages n'ont pas  ni école, ni culte ; d'autre part au Jardin, seul Epicure est le sage (on ne le devient pas, on l'est de naissance : il se vantait de n'avoir eu aucun maître) qui n'enseigne pas mais révèle à tous la Vérité (donc pas d'initiés, tout le monde est invité), qui gouverne et contrôle sa maison (les adeptes qui la quittaient étaient injuriés, puisqu'en interne la critique des dogmes était impossible).

            Bref, Epicure est le gourou d'une secte. Pour une présentation plus large de l'analyse de Pierre Vesperini, une démonstration implacable, le lecteur peut se reporter par exemple à l'article enthousiaste de Michel Onfray (1).

            Nous soulignons simplement ici une pratique de l'école épicurienne : le "franc-parler" (parrhèsia). « Ce mot est très à la mode aujourd'hui, depuis la publication du cours de Michel Foucault sur le "courage de la vérité". On y voit le symbole de la franchise, de la liberté de parole, des philosophes antiques, dignes précurseurs de l'intellectuel engagé. (2) En réalité, à lire Philodème [de Gadara, épicurien], on voit que la parrhèsia , dans l'école d'Epicure, recouvrait l'aveu de ses doutes, de ses manquements à la doctrine, de ses errances et de ses erreurs doctrinales. (...) Et ainsi, comme le dit Philodème, "on faisait son salut les uns par les autres". » (p.19) Cette parrhèsia, c'est l'autocritique permanente des partis marxistes-léninistes, l'aveu dans les procès staliniens.

 

            Nous nous arrêtons au chapitre IV titré Qu'est-ce qu'un poeta ? « De fait, le métier des poetae consistait à "travailler" les oeuvres des poiètai grecs ― comme d'autres artisans travaillaient la terre ou le bronze ― pour produire des objets hétéroclites : éloges ou épitaphes versifiées, chants solennels adressés aux dieux (carmina, hymni), livrets de spectacles pour les ludi, livres destinés aux bibliothèques de l'aristocratie. » (p.68) Les livres de cette dernière catégorie, dont fait partie De rerum natura , s'appelaient des litterae : c'étaient des objets d'art, des ornamenta , aussi précieux que les tableaux, les statues, les bijoux, etc. de par leur fabrication mais aussi par le transfert du savoir grec qu'ils opéraient. A Rome, ville savante où le plaisir de savoir est partagé, l'aristocrate pour tenir son rang doit apporter sa contribution : ainsi « perdre ses ornementa , c'était perdre son identité, qui, d'une façon générale, se confondait avec le statut social. On n'était rien d'autre que ce qu'on était socialement. »(p.48)  Sur commandes, les poetae transféraient en latin les oeuvres grecques (poèmes, pièces de théâtre) figurant dans les bibliothèques hellénistiques. Contrairement aux libri (autres écrits rapportant des savoirs ― manuels de rhétorique, résumés de doctrines, recueil de prophéties), les litterae appartenaient au monde de l' otium aristocratique (i.e. le temps du loisir) et étaient des objets de plaisir parce que « le savoir, y compris le savoir le plus austère en apparence pour nous, est à Rome un objet de plaisir, de delectatio » (p.36)

            Quel est le statut du poète professionnel ? Plus d'un siècle avant Lucrèce, Caton l'Ancien écrit qu'au début « le savoir du poeta n'avait rien de glorieux. Celui qui s'y livrait ou qui passait son temps dans les banquets était traité de grassator », soit un vagabond ou un brigand ou un flatteur. Puis Quintus Ennius vint à Rome où il fit une carrière extraordinaire de poeta , devenant le familier de grands familles, même rivales,  recevant la citoyenneté romaine : « le poeta apparaît non pas, certes, comme un égal, mais comme l' amicus le plus élevé dans la hiérarchie des clients, le seul invité à la table de son protecteur, comme son seul compagnon de plaisir, et son seul confident enfin ». Quelle est sa compétence singulière ? « il sait tout. Ce poeta  est un poeta doctus , un poète savant. (...) Il s'agit du savoir encyclopédique incarné à son époque par le Musée d'Alexandrie et sa bibliothèque ». Grâce à ce savoir grec, le poeta produisait des litterae latinae (des oeuvres d'art, ornamenta ) pour commémorer la gloire des nobles romains, devenant ainsi des monumenta (comme les statues, tombeaux, colonnes, temples : le poeta était en concurrence libre et non faussée avec d'autres professionnels).

            Résumons au plus simple : au temps antique de Lucrèce, le poète romain est un professionnel qui compose des textes au moyen d'objets de culture grecque.

 

 

            Venant d'achever une relecture de Paul Verlaine, nous nous interrogeons pour le coup sur cette question de poésie objective.

 

 

            Dans le Prologue des Poèmes saturniens, Paul Verlaine prévient que le poète s'est échappé du monde ordinaire, a renoncé à célébrer les glorioles des militaires ou des Républiques, a refusé le rôle de porte-voix de l'âme humaine :

C'est qu'ils ont à la fin compris qu'il ne faut plus

Mêler leur note pure aux cris irrésolus

Que va poussant la foule obscène et violente,

Et que l'isolement sied à leur marche lente.

Le Poète, l'amour du Beau, voilà sa foi,

L'Azur, son étendard, et l'Idéal, sa loi !

Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,

Où le rayonnement des choses éternelles

A mis des visions qu'il suit avidement, (...) ;

et il met en application ses aspirations, notamment dans Après trois ans :

            « Aucun développement, aucune rhétorique, aucun mélange de la description et de la réflexion ou du sentiment. Et même, aucune description. La maison, le jardin ne sont aucunement décrits : les objets qui les évoquent sont isolés, et ils restent isolés dans l'âme qui semble ne recevoir d'eux que d'immédiates sensations. Rien n'est traduit ni commenté ; seule, l'impression ressentie est livrée par le chant poétique dans son isolement et sa nudité. » Jacques Borel (3)

Pleinement conscient de la nouveauté de son art, Verlaine l'écrit à Mallarmé en lui envoyant le recueil : « J'ose espérer que ... vous y reconnaîtrez ... un effort vers l'Expression, vers la Sensation rendue. » (4) Bien sûr, on peut penser que l'art verlainien est un impressionnisme, puisque l'association d'images rend compte de la sensation, mais c'est négliger le liant des compositions : la mélodie, l'élément distinctif de la poésie verlainienne. « Cette traduction immédiate du senti, c'est la musique qui, avant toute image, la communique. » Jacques Borel (5)

 

            C'est là, à notre avis, la grande différence avec Rimbaud, dont la force poétique se trouve principalement dans les images. Précisons aussitôt que la lettre du Voyant n'en constitue pas l'essence, puisque l'écriture rimbaldienne est une brève révolution continue. Jusqu'en octobre 1870, Victor Hugo est un maître par excellence, même si le Parnasse contemporain l'initie à la tendance contemporaine, mais inspiré par l'art, les gravures et les caricatures populaires, « Sa vision des choses, à cette époque, s'en trouva transformée. Elle tendit à se réduire à des surfaces coloriées, à des lignes fortement marquées, à des masses organisées de façon simple et efficace. » Antoine Adam (6). Lire les sonnets L'éclatante victoire de Sarrebruck et Le dormeur du val. Et en fin d'année 1870, Rimbaud explique à Delahaye que « nous avons seulement à ouvrir nos sens à la sensation, puis à fixer avec des mots ce qu'ils ont reçu. Notre unique soin, ajoutait-il, doit être de voir, d'entendre et de noter. Et cela, sans choix, sans intervention de l'intelligence. » Antoine Adam (7) : c'est le moment des Voyelles, poétique de la sensation brute. Il est en phase avec le Verlaine des Fêtes galantes (parues en 1869) : « C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable ! » (8) Puis au printemps 1871, c'est la grande crise du dérèglement de la langue et des sens :

« L'idée de voyance est donc, dans l'esprit de Rimbaud, inséparable de celle d'humanité. Le voyant n'est pas un isolé. Ce qu'il voit, ... c'est le mystère qui enveloppe la destinée de notre race, c'est le but vers lequel celui-ci se dirige. La voyance n'est donc pas liée à un effort de purification ou de sainteté personnelle. La conquête de l'inconnu ... n'a rien de religieux. » Antoine Adam (9) Rimbaud l'écrit d'ailleurs précisément :  « L'avenir sera matérialiste. »  Pour remplir sa mission, le poète doit cultiver son âme, aiguiser continuellement ses sensations en multipliant les expériences, notamment en usant des drogues comme le Baudelaire des Paradis artificiels, pour entrer en communion profonde avec les hommes.   Mais quand Rimbaud écrit en admirateur enthousiaste (10) en septembre 1871 pour soumettre quelques poèmes, et fonce immédiatement à Paris à l'appel de Verlaine, il est déjà passer à autre chose : le vers libre. (11)

            Néanmoins, nous pensons comme Nikola Bertolino que « (...) lors de sa camaraderie avec Verlaine, c'est à dire jusqu'à l'automne 1872 ou le printemps 1873 (...) Les deux poètes, dans leur effort commun de saisir l'essence musicale de la langue, avançaient sur des voies parallèles, mais leur direction principale, au cours de ces quelques mois, était définie par la poétique de Verlaine. » (12)

            S'ils étaient tous les deux en quête d'une "libération de la langue", ils divergeaient déjà sur la forme et la finalité du poème. Leur relation sexuelle ne fera qu'envenimer la querelle : l'ardennais timide et taiseux en révolte contre le bourgeois dionysiaque en rupture de ban. Rimbaud plonge en enfer : « Les dernières pages d' Une Saison disent cette fin du drame et nous livrent le sens secret de l'oeuvre. Les autres parties décrivent les conflits qui pendant deux ans (13) ont bouleversé l'âme de Rimbaud, ses révoltes, ses élans et ses défaites, son désir de fuir loin de l'Europe, d'échapper à un ordre social détesté et à une morale qui a fait son malheur. (...) Mais il nous faut bien comprendre que ce sont là des attitudes que Rimbaud maintenant répudie. Ce sont elles qui ont fait son enfer. (...) "A moi. L'histoire d'une de mes folies", déclare-t-il dès la première ligne de son poème [Alchimie du verbe]. Et ses derniers mots sont : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté". C'est à dire qu'il ne demande pas plus à la folie qu'aux mysticismes de lui fournir l'univers où il veut vivre, et que la force et la beauté du monde lui suffisent. » (14)     

            Concernant la Une saison en enfer, beaucoup de critiques l'analysent comme le rapport de la faillite complète d'une expérience. Reste les Illuminations dont Nikola Bertolino livre une interprétation très intéressante dans Rimbaud ou la poésie objective :

            « Ce n'est que dans les Illuminations que l'énoncé poétique de Rimbaud s'est affranchi complètement de ce contrôle égocentrique, en offrant certaines clés auxquelles le poète ne pensait peut-être même pas, et en montrant des possibilités insoupçonnées de transformation et de transposition dans les "traductions" multiples et différentes. C'est une conséquence extrêmement importante de l'expérience poétique dont l'objectif était la création de la "langue universelle". Le Rimbaud tardif essaiera de ses oeuvres toute trace de "l'atmosphère personnelle", pour pouvoir réaliser entièrement le principe de la poésie objective dont il parlait dans la première de ses deux lettres-manifestes (celle du 13 mai 1871, adressée à Georges Izambard). (p.80)

            Rimbaud, nous dit Bertolino, porte une « grande attention à la structure de signification des mots ». « Parmi les éléments de la parole, celui que Rimbaud appelle idée n'est rien d'autre que ce qui reste lorsqu'on écarte ses éléments inertes : la dénotation et la connotation attribuée. De cette façon, la parole est réduite à une sorte de connotation libre, authentique, spontanée et toujours inattendue. L' idée étant composée de ces noyaux vivants de la parole, ce sont eux qui forment la matière dont est constituée la "langue universelle" de la nouvelle poésie rimbaldienne. » (p.187)

Amusons-nous ici à esquisser le commencement de la confection d'un outil qui automatiserait la création poétique, en usant de la méthode MERISE (15) :

     objet                                                                         objet  

mot (urinoir)  --------- en relation avec ------------  symbole (fontaine)

    idem           --------- en relation avec ------------  son 

Nous laissons au lecteur le soin d'imaginer la suite.

Par ailleurs, nous nous sommes amusés à créer le poème Cocktail Mallarmé (lire ici ).  

Partant de la réalité existante, « la voyance poétique pénètre en elle ainsi qu'un microscope pénètre dans la matière, en l'agrandissant, en la décomposant, en la déformant, pour y trouver l'inconnu : son sens inattendu et merveilleux.(...) Autrement dit, la forme du créé est conditionnée par la forme du vu, par les suggestions structurelles et formelles de ce que le poète avait authentiquement vécu. » (p.236) Ainsi toute création artistique est forcément subjective.

Et comme l'écrit Jean-Luc Steinmetz (16), cela vaut pour la poésie objective : « Dans l'opération de dépersonnalisation qu'implique une certaine forme de poésie objective, le Je persiste, comme support de l'authenticité phénoménologique de l'individu. » L'analyse par Bertolino de certains poèmes des « Illuminations, parmi les derniers que Rimbaud ait écrits, [montre] combien la "dépersonnalisation", à ses propres yeux, était un but impossible à atteindre. » (p.213) Le paradoxe rimbaldien est paroxystique : « Si sa répugnance à toute expression de sa propre personnalité a pris finalement le dessus, ce n'était qu'au moment où sa "carrière" poétique se terminait, ce qui était la conséquence de la prise de conscience que son Je est socialement et moralement infecté, mais aussi qu'il ne peut être éliminé, que ce Je est présent dans tout ce qu'il dit, dans tout ce qu'il sent, dans tout ce qu'il voit. » (p.215) Dès lors il est possible de comprendre que « ce qu'on appelle son "silence" fait partie de sa trajectoire » (Jean-Luc Steinmetz, cité p.7)

 

 

            Concluons cette note par ceci : « Rimbaud ne voulait pas rendre neutre ou détériorer l'expression de son Je authentique. Bien au contraire, il désirait la faire absolue, en réalisant toutes les possibilités que ce Je avait de s'énoncer. » (p.214)      

            In fine, le Je n'est pas haïssable.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) Le Point n° 13 du 26 octobre 2017.

(2) Cette incompréhension grossière de Michel Foucault n'étonne pas : un intellectuel engagé qui a soutenu la Révolution iranienne de Khomeiny est un philosophe déraisonnable.   

(3) Paul Verlaine, Oeuvres poétiques complètes , La Pléiade, page 54.

(4) Ibidem, page 55.

(5) Ibid., page 181.

(6) Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes, La Pléiade, page XVII.  

(7) Ibidem, page XVIII.   

(8) Dans la lettre du 25 août 1870 de Rimbaud à Georges Izambard, citée dans Paul Verlaine, Oeuvres poétiques complètes , La Pléiade, page XXI.

(9 Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes, La Pléiade, page XXII. 

(10) Ibid., page 260 ; comme il le fit en mai 1870 avec Théodore de Banville : «c'est ce que j'aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. » page 236.

(11) Ibid., notes de Verlaine dans La Plume évoquées par Antoine Adam, page XXVII.

(12) Nikola Bertolino, Rimbaud ou la poésie objective, éditions L'Harmattan, 2005, page 164.

(13) Une Saison en enfer est écrit entre avril et août 1873.  

(14) Ibid., Antoine Adam, page XXXV.

(15) Les ouvrages se rapportant à MERISE sont innombrables ; citons par exemple :

* Jean-Pierre Matheron, Comprendre Merise, Eyrolles, octobre 1988 ;

* Didier Banos & Guy Malbosc, Merise pratique - 1. points-clé de la méthode, Eyrolles, avril 1988. 

(16) Cité par Nikola Bertolino, Rimbaud ou la poésie objective, page 213.  

Bernard Arnault vaut bien Carlos Ghosn

Publié le par Alexandre Anizy

            Ghosn et Arnault, qu'ont-ils en commun ? Polytechniciens, hommes d'affaires coriaces... Quoi d'autre ?  

 

 

            En tant que patrons, ils pratiquent l'optimisation fiscale, puisque comme le dit Bernard Arnault, « Nous n'allons pas refuser d'utiliser la loi pour payer plus d'impôts qu'on ne doit ! » (1)

            Mais ils sont aussi atteints de phobie fiscale : les Japonais viennent ou font peut-être semblant de le découvrir maintenant (2) pour Carlos Ghosn, les Français informés le savent depuis longtemps pour Bernard Arnault.

            En effet, BA a créé en Belgique une fondation privée, nommée Protectinvest, qui servira à protéger les intérêts de ses héritiers. Les protéger de quoi ? « Protectinvest devrait permettre aux héritiers directs du magnat d'éluder les droits de succession en France et de bénéficier des règles belges, particulièrement avantageuses pour le patrimoine mobilier. » (3) 

Ce montage juridique est un cas pratique de ce que Christophe Giully démontre dans No society (4) : la sécession de la classe dominante.  

 

            Un citoyen qui ne paie pas ses impôts (sous toutes ses formes), qui s'échappe fiscalement, qui porte atteinte aux biens communs, est un mauvais citoyen. Sur ce point, le philosophe Yves Michaud ne nous contredira pas. (lire ici ). Comment qualifier Bernard Arnault ? C'est un mauvais citoyen.

 

            Mais en plus, comme dirait Jean-Claude Michéa, Bernard Arnault fait preuve d' indécence , notamment quand il fait la leçon : « Il est malsain d'utiliser d'autres pays d'Europe comme le font certaines entreprises de technologie notamment, pour éviter l'impôt en France ». (6) Rappelons-lui par exemple la partie du pactole (1 milliard) issue du raid sur Hermès que LVMH avait logée au Luxembourg, échappant au fisc : « Au terme de deux ans de discussions, le groupe [LVMH] a dû s'acquitter de quelque 380 millions d'impôt, plus une vingtaine de millions d'intérêts de retard. » (7)

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Entretien de Bernard Arnault dans l'hebdomadaire Challenges du 15 novembre 2018.

(2) Ayant compris que Carlos Ghosn ne pourrait jamais leur faire obtenir ce qu'ils réclament depuis des années (pour faire simple : reprendre totalement le pouvoir chez Nissan), n'ont-ils pas décidé de se passer de cet allié avec fracas pour mieux secouer l'Alliance ?  

(3) Le Monde du 19 septembre 2012, page 16.  

(4) Christophe Giully, No society, Flammarion, octobre 2018. Nous recommandons vivement ce livre.  

(5) Challenges, ibidem.

(6) Ibid.

(7) Canard enchaîné du 12 octobre 2016.

Le progrès version Jupitérito

Publié le par Alexandre Anizy

            Chez Jacques Prévert, on trouve cette vision du progrès jupitéritien, avec un adjectif inapproprié.

 

 

TOUT S'EN ALLAIT

(extrait)

 

Dans les coulisses du progrès

des hommes intègres poursuivaient intégralement la désintégration

                               [ progressive de la matière vivante

désemparée.

 

Jacques Prévert

(La pluie et le Beau Temps, dans la Pléiade volume 1, 1992)

 

Désintégration façon puzzle d'Emmanuelle Richard

Publié le par Alexandre Anizy

            Il apparait que le nombril d'Emmanuelle Richard nous insupporte. 

 

 

 

            Il faut dire d'une part que la prose de la dame ( Désintégration, éditions de l'Olivier, 2018, en livrel ) mériterait des progrès en matière de ponctuation :

            « L'amour est le seul lieu où les questions de dignité ne devraient plus avoir cours, à mon avis, toutefois cette façon de se non-protéger va immanquablement de pair avec la destruction de soi-même. » (p.7/190) ;

d'autre part Emmanuelle Richard montre que l'accumulation de phrases simplissimes (sujet, verbe, complément) demeure un empilement, si elles ne sont pas agencées et ciselées en vertu d'un principe stylistique :

            « C'était le début de l'automne. J'étais sortie en débardeur. J'avais froid, je me suis serrée dans mes bras. Il m'a allumé ma cigarette. ["il a allumé ma cigarette", ou "il alluma ma cigarette" ― la répétition "ma ma" suggérant la succion du fumeur ― n'auraient-ils pas été plus correctes ? NdAA] Il avait un beau sourire. Il était dehors à cette heure en pleine nuit pour soigner les bêtes, deux petits chevaux malades qui nécessitaient des soins fréquents et réguliers. » (p.8/190)

            Nous rappelons que gratter jusqu'à l'os, ce n'est pas ça le talent, de James Salter par exemple ici .   

 

Emmanuelle Richard conclue son texte ainsi :

            « Pour l'instant, je travaille à cette chose qui me plaît. J'ordonne des phrases entre elles. Je pense à la beauté muette parfaite des fleurs. Je me déploie sur l'espace infini de la page où il fait si bon vivre. Je trouve mon équilibre là-dedans. Je suis bien. Un peu à l'écart. » (p.189/190)

Beaucoup à l'écart... mais c'est son plaisir... pas le nôtre.

Le vide sidéral de la littérature masturbatoire.

 

 

Alexandre Anizy

Retenez la plume de Gérard Laveau

Publié le par Alexandre Anizy

            Gérard Laveau invente le polar d'outre-tombe : une lecture jubilatoire.   

 

 

            Commençons par l'incipit et la suite, pour souligner d'emblée la qualité d'écriture qui n'a pas changé, comme Montceau.

            « La voiture entra dans l'ancienne cité minière entre minuit et une heure. La rue Carnot était déserte, pas trop éclairée. Les phares devançaient la Simca d'un pinceau de guingois au jaune faiblard. Ils léchaient des stores cadenassés et des affiches pour les dernières élections, des devantures obscures et des vitrines mornes où parfois, un mannequin blafard se tenait dans la posture d'un rôdeur aux aguets. »

            Les Presses du Midi sont bien inspirées quand elles publient Oublie que je te tue de Gérard Laveau (octobre 2018, 284 pages, 19 €). Avec cette nouvelle enquête, le détective Georges Amer plonge dans le marais de l'édition, dont le dédale ne lui est pas étranger ( Cf. les aventures précédentes ici et ).

 

            Fort d'une architectonique béton, l'auteur emmène ses lecteurs tambour battant, les transportant d'un jet de plume dans l'arrière-boutique culturelle. SAS Laveau glisse parfois sur la pente de Virginie, en plus raffiné puisqu'il a son bâton d'homme de lettres.

 

 

Alexandre Anizy