(Lire notre note I du 21 novembre 2007 « Les archaïques des Banques Centrales », note II du 30 novembre, note III du 11 décembre, note IV du 20 décembre, note V du 27 décembre 2007)
La thèse officielle des banques centrales est la suivante :
« Il n’y a donc pas de « conflit d’objectifs » pour la politique monétaire : stabiliser le prix des biens et services et stabiliser le prix des actifs est équivalent, donc il n’y a pas de motif à créer un objectif séparé de stabilité des prix des actifs. » (Patrick ARTUS, « les incendiaires. Les banques centrales dépassées par la globalisation », édition Perrin août 2007, p.81)
Ben BERNANKE (FED) a même soutenu qu’ajouter cet objectif contribuerait à faire apparaître une variabilité intenable de la politique monétaire.
Si c’est vraiment la même chose, les évolutions respectives doivent pouvoir le confirmer.
Aux Etats-Unis :
de 1996 à 2006, l’inflation a varié de 2 à 3,5 % par an ;
de 1998 à 2003, les prix de l’immobilier ont varié de 6 % par an ;
de 2004 à 2006, les prix de l’immobilier ont varié de 10 % par an ;
de 1996 à 2000, les cours boursiers ont été multipliés par 2,5.
Dans la zone euro :
Inflation autour de 2 % ;
Prix de l’immobilier ont augmenté de 12 % par an en 2004-2005.
Au Royaume-Uni :
De 1998 à 2005, inflation extrêmement faible ;
Certaines années (1999-2000, 2002, 2004) les prix de l’immobilier ont augmenté de 15 à 25 % par an.
Au Japon de 1986 à 1989, avant la crise patrimoniale :
Inflation inexistante ;
Cours boursier multipliés par 3 ;
Les prix des maisons ont augmenté de 40 à 60 %.
« En réalité, prix des biens et services et prix des actifs sont totalement déconnectés, et leurs évolutions posent deux problèmes distincts aux banques centrales. » (Patrick ARTUS, idem, p.82)
Autres arguments des banques centrales pour défendre leur thèse officielle.
Savent-elles mieux que « le marché » le bon prix d’un actif ? Non.
Pour les cours boursiers, cela est sans doute vrai ; mais lorsque les prix des maisons, au Royaume-Uni, en Espagne, en Australie, doublent relativement aux prix des biens et services, même un banquier peut comprendre qu’il s’agit d’une hausse excessive.
Le comportement dit d’aléa de moralité.
Ce comportement vient de la théorie de l’assurance : si une voiture est assurée contre le vol, son propriétaire ne fait plus attention à la fermer.
Ainsi, si les BC stabilisent les prix des actifs, les détenteurs de ces actifs auront une assurance contre le risque de variation de ces prix, donc ils ne feront plus attention à leurs investissements risqués…
Cet argument est valable pour les actions, mais pas pour l’immobilier résidentiel qui n’est que marginalement un investissement financier risqué.
Les prix des actifs ne sont pas contrôlables.
Faux. Les prix de l’immobilier dépendent directement du crédit, que les banques centrales peuvent facilement contrôler.
Bien entendu, ce n’est pas la stabilité des prix de l’immobilier qu’il faut prendre pour objectif, mais des limites raisonnables à leurs variations. Encore faut-il agir à bon escient : si les BC attendent des prix d’actifs et des taux d’endettement élevés pour monter les taux d’intérêt, elles provoqueront la même catastrophe, toutes choses égales par ailleurs, qu’au Japon dans les années 90.
Maintenant prenons le cas des Etats-Unis.
En 2007, la dette des ménages correspond à 130 % de leur revenu contre 90 % en 1996, avec des défauts de paiement très bas jusqu’à la crise des « subprime » cet été, sachant que les intérêts payés aujourd’hui sont inférieurs à ceux de 1990 : faut-il agir pour arrêter la progression de la dette ?
Lorsque de 1995 à 2000, le Nasdaq (indice de valeurs technologiques) a été multiplié par 7, il ne fait guère de doute qu’il fallait limiter cette hausse par une politique monétaire restrictive.
Ce que fit la Banque d’Angleterre en 2004, quand le prix relatif des maisons a doublé depuis 1996.
Depuis 10 ans, l’orientation de la politique monétaire mondiale dépend beaucoup de la politique monétaire et de change des pays émergents.
L’intégration des marchés financiers est une réalité : la banque ou l’assureur japonais peut acheter, à partir de ses ressources monétaires nationales, des actions, des obligations, des actifs immobiliers aux Etats-Unis ou en Europe. Dans ces 2 zones, les marchés des actifs dépendent aussi de la politique monétaire du Japon.
L’accumulation des excédents commerciaux dans les réserves de change correspond à la politique chinoise : c’est une création de monnaie. Exemple : un exportateur chinois qui est payé en dollars les apporte à sa banque locale pour obtenir de la monnaie domestique (yuan) ; compte tenu de la politique de change quasi fixe menée par la BC chinoise, le banquier apporte les dollars à la BC chinoise qui les achète en créant des yuans. « (…) il y a donc bien parallèlement accumulation de réserves de change et création monétaire, qui alimente la liquidité mondiale. » (Patrick ARTUS, idem, p.95)
La liquidité mondiale circule, comme nous venons de le voir : ce mécanisme explique 90 % de la hausse des liquidités. Ce qui signifie que l’influence des banques centrales des grands pays est faible.
Exemple des taux d’intérêt à long terme aux Etats-Unis et dans la zone euro : « Les marchés obligataires sur le dollar et sur l’euro sont des marchés complètement internationaux, où les investisseurs étrangers ont un poids très important ; de ce fait, l’équilibre des marchés obligataires, qui détermine les taux d’intérêt à long terme, dépend de la politique monétaire mondiale (…) c'est-à-dire dépend des politiques d’accumulation des réserves de change dans les pays émergents beaucoup plus que des choix de politique monétaire (des niveaux de taux d’intérêt à court terme) aux Etats-Unis et dans la zone euro. » (Patrick ARTUS, ibid., p.97)
En fait, la FED et la BCE ne contrôle que les taux d’intérêt à court terme.
En 2006, Ben BERNANKE (FED) a écrit que le niveau bas des taux d’intérêt à long terme était dû à l’abondance de la liquidité mondiale. La BCE continuait de penser que c’était dû à sa crédibilité.
Alexandre Anizy
A suivre … les archaïques des banques centrales VII