C'est un petit livre, mais il touche son but.
Pour laisser une trace, Jean-Marie Borzeix a évoqué son père Ernest dans L'homme qui aimait les arbres (Bleu autour, mai 2018).
« Durant les vacances scolaires, sous d'autres cieux, il m'arrivait de l'accompagner dans les longues marches en forêt. Plus les clairières s'éloignaient, plus les layons de la forêt domaniales s'effaçaient, plus les bois devenaient touffus, plus je me serrais contre lui. En traversant de hautes futaies de chênes et de hêtres, nous avancions en direction des bruits sourds qui montaient au-dessus des coupes en exploitation. Les équipes de bûcherons qui avaient nettoyé le sous-bois de ses chablis ne se laissaient pas interrompre par l'arrivée du "patron". Si l'abattage d'un beau chêne était en cours, ils continuaient à manier le passe-partout, à serrer le manche de la hache. (...) Tout semblait si bien maîtrisé par ces travailleurs aux manières rudes que j'étais tout à fait rassuré. L'arbre tombé, la minute de silence respectée comme pour un mort, les conversations pouvaient reprendre. Mon père voulait tout savoir, tout voir. Il commençait par les souches claires dont les cernes livraient, entre autres secrets, l'âge des chênes abattus et les années de grand froid ou de canicule. Puis de la même manière qu'un professeur hospitalier procède à la visite des patients de son service ou qu'un officier rend les honneurs aux corps inertes de ses hommes tombés au cours de la bataille, il passait en revue les grumes qui allaient être débardées et alignées à l'entrée de la coupe, avant de s'attarder sur certaines pour examiner de près la qualité du bois entre l'écorce et le coeur. Il signait enfin d'un coup sec avec le marteau dont la table portait la gravure de sa marque. Il ne lui restait plus, pour clore son inspection, qu'à jeter un regard rapide sur le bois de chauffage entassé au cordeau : estimer les stères de charbonnettes était pour lui un jeu d'enfant. (...) Au "patron", il est plus d'une fois arrivé de terminer son inspection en beauté. Sa veste enlevée, en bras de chemise, il se saisissait d'une grande hache... » (p17 à 19)
Mais Ernest était un blagueur.
Au départ, c'était un projet modeste, égoïste : accumuler des instantanés. Et puis le métier de Jean-Marie a pris le dessus, et il est parvenu à l'essentiel : Ernest est toujours parmi nous, donc vivant.
Alexandre Anizy