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La vie de Durruti recomposée par Hans Magnus Enzensberger

Publié le par Alexandre Anizy

 

En 1972, l'écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger publiait « le bref été de l'anarchie » (traduit en 1975 chez Gallimard, réédition décembre 2010, 420 pages, 11 €), dans lequel il retraçait le parcours terrestre de Buenaventura Durruti, un leader charismatique des anarchistes espagnols de 1936.

 

Ceux qui méconnaissent cette période historique seront captivés par ce récit, à la fois personnel et collectif. Grâce à la méthode employée par l'auteur, ils seront abreuvés de faits précis, qui plus est relatés sous divers angles, grâce à des témoignages variés. "Examen critique" deviendra une expression familière pour certains d'entre eux.

 

Sur le plan politique, nous ne doutons pas que beaucoup tomberont des nues en découvrant le rôle et le poids du mouvement anarchiste dans la Guerre civile espagnole, en apprenant les turpitudes des communistes inféodés à Moscou et les contradictions du mouvement républicain.

 

Du point de vue littéraire, ce livre en étonnera plus d'un, parce que c'est un assemblage de documents¹ que Hans Magnus Enzensberger qualifie de roman, rappelant ainsi au lecteur l'importance de sa subjectivité dans l'élaboration de l’œuvre : la vie de Durruti recomposée en 1972 à partir de papiers divers, d'entretiens avec les acteurs rescapés de l'enfer, etc. Dans le choix des pièces repose le travail du romancier.

 

Nous vous invitons à sauter dans le torrent de vie de Buenaventura Durruti.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

¹: pour d'autres raisons, nous avons partiellement adopté cette manière dans notre récit « instruction ordinaire » (éditions Noirval, juin 2011, 19 € ou bouquinel à 9,49 €)

 

 

 

Une rustine pour l'euro

Publié le par Alexandre Anizy

 

A l'issue d'un nouveau cirque nocturne, les dirigeants de la zone euro ont signé un accord … qu'il faudra mettre en œuvre dans les semaines à venir.

Alors souvenez-vous.

Au début de la crise grecque, les gouvernements de la zone euro avaient affirmé qu'il n'y aurait pas d'abandon de créances …

Ensuite, ils soutinrent que l'effacement de 20 % de la dette grecque était pour solde de tout compte …

Maintenant, c'est 50 % …

Sont-ils crédibles ?

 

L'accord de ce 27 octobre 2011 n'est malheureusement qu'une nouvelle rustine sur un corps poreux.

 

 

Alexandre Anizy

 

P-.S : nous vous invitons à (re)lire nos notes sur le sujet.

 

 

 

L'euro imperator Trichet est un Gamelin de l'UE

Publié le par Alexandre Anizy

 

A quelques jours de la fin de son mandat, Jean-Claude Trichet entreprend sa tournée des médias pour se tresser une couronne de louanges¹, comme le clown fait son dernier tour de piste pour solliciter les bravos.

Pour nous, il reste ce haut fonctionnaire impliqué dans le scandale du Crédit Lyonnais, qui échappa aux poursuites judiciaires grâce à un oubli fâcheux du Parquet aboutissant à une bizarrerie : la relaxe définitive.

Après avoir été un des architectes de l'euro, il finit par obtenir son bâton de maréchal en devenant le Président de la BCE … qui croit aujourd'hui utile de rappeler qu'il a respecté scrupuleusement les règles : « Lors de mes conférences de presse, j'ai toujours souligné notre fidélité à notre mandat premier donné par nos démocraties politiques : assurer à 332 millions d'Européens la stabilité des prix. ».

 

Alors que le monde bouge,

« Pour tenter de relancer leurs économies, les États-Unis, le Brésil ou la Chine essaient de dévaluer leurs monnaies. C'est exactement ce que fait Barack Obama, qui non seulement joue sur la valeur du dollar, mais qui par ailleurs n'est pas hostile à du protectionnisme. Tout le monde tente de réagir, sauf l'Europe qui reste ultralibérale, en retard d'une guerre. Elle se bat encore pour une monnaie forte, malgré l'endommagement grave de son tissu productif et ses déséquilibres intrazone euro. » (Kostas Vergopoulos),

l'euro imperator Trichet, bouffi d'orgueil et de vanité, demeure droit dans ses bottes de certitudes idéologiques, puisque l'honnêteté intellectuelle n'est pas sa qualité en 1992 comme en 2011, lorsqu'il déclare que pour éviter la crise les gouvernements européens auraient dû

« Respecter strictement les règles de la zone euro. Sans fédération politique ni budget fédéral, il était indispensable d'avoir une surveillance très attentive, rigoureuse, permanente, tout particulièrement des politiques budgétaires. ».

 

L'euro imperator Trichet croit toujours que l'euro, tel qu'il a été conçu et tel qu'il est, défend les économies européennes : c'est un Gamelin de l'Union Européenne.

 


 

 

Alexandre Anizy

 

(): Express du 12 octobre 2011

() : lire notre note http://www.alexandreanizy.com/article-7024151.html

() : professeur d'économie à l'université de Paris 8, dans Libération du 12 octobre 2011

() : le généralissime des Forces armées françaises en 1939-1940 qui conduisit le pays à la déroute militaire.

Pour Steve Jobs : la vie de l'homme de Giuseppe Giachino Belli

Publié le par Alexandre Anizy

 

En lisant les éloges sur Steve Jobs, son discours à l'université de Stanford le 12 juin 2005, nous nous sommes rappelés d'une description de la vie ordinaire, de notre lot commun.

 

Le romain Giuseppe Gioachino Belli (1791 – 1863) était bilingue : une partie publiée en italien, une autre en dialecte, clandestine. Un poète irrévérencieux, populaire, qui vira avec l'âge en zélé réactionnaire bigot.

Ni voyant, ni exilé, simplement humain le Belli.

 

 

La vie de l'homme

 

Neuf mois empuanti. Puis dans les langes,

Croûtes de lait, bisous et grosses larmes.

Puis panier roulant, brassière et lisières,

Bourrelet au chef et couches aux fesses.

 

Puis le tourment de l'école commence,

L'abécédé, le fouet, les engelures,

Le caca sur la chaise, et la rougeole,

La scarlatine, un peu la variolette.

 

Viennent après, métier, jeûne et labeur,

Loyer, prison, dettes, gouvernement,

Et l'hôpital, et le con de m'amie.

 

L'été le soleil, en hiver la neige...

En tout dernier lieu, que Dieu nous bénisse,

Arrive la mort, et l'enfer au bout.

 

Giuseppe Gioachino Belli

(Rome, 18 janvier 1833)

 

Pas folichonne, la vie selon Belli !

 

 

 

Impasse Michéa

Publié le par Alexandre Anizy

 

Dès que Jean-Claude Michéa publie un livre comme c'est le cas le 5 octobre avec « le complexe d'Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès » (éditions Climats), les magazines établis comme le nouvel observateur ou marianne s'empressent de le commenter ou de le recevoir. On peut se demander pourquoi, tant le propos est ténu et répétitif.

Il nous semble que l’œuvre de Michéa se construit autour d'une intuition fondatrice : la doctrine de la gauche comme de la droite (PSUMP ou UMPPS) repose sur « le vieux dogme progressiste selon lequel il existe un mystérieux sens de l'histoire, porté par le développement inexorable des nouvelles technologies, et qui dirigerait mécaniquement l'humanité vers un monde toujours plus parfait – que celui-ci ait le visage de "l'avenir radieux"ou celui de "la mondialisation heureuse". » (Nouvel Observateur du 22 septembre 2011, p.108)

 

Dans « Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l'impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche » (Champs Flammarion, février 2006, 192 pages,) Jean-Claude Michéa dit rapidement qu'il n' y a qu' « une seule possibilité de développer de façon intégralement cohérente l'axiomatique ambiguë des Lumières : c'est l'individualisme libéral. » (p.16) Force est de constater aujourd'hui que les pseudo élites qui gouvernent ont intériorisé la théologie libérale comme une contrainte économique incontournable. Si pour Newton l'attraction terrestre soudait les mouvements désordonnés, pour la mécanique sociale les philosophes des Lumières ont opté pour l'intérêt, i.e. l'utilitarisme, alors qu'à la base de la vie humaine, on relève le cycle du don (donner, recevoir et rendre).

« (…) le prétendu réalisme de la science économique repose avant tout sur une représentation purement métaphysique de l'homme (...) » (p.41)

La figure qui incarne le plus cette fin commençante de l'Histoire est le « nomade Bouygues », cet ersatz pathétique de l'humain¹.

« Toute la question, cependant, est de savoir jusqu'à quel point notre corps, et notre psychisme, peuvent, sans défaillir, soutenir cette contrainte capitaliste d'une jeunesse éternelle, c'est à dire d'une existence à jamais atomisée et perpétuellement mobile. » (p.46)

Mais Michéa ajoute que l'utopie libérale a déjà le remède : refabriquer l'homme grâce à la biotechnologie, pour ce que Fukuyamanomme "post-humanité".

Quand au début des années 80 la Gauche établie renonce à la critique radicale du capitalisme, elle se libère en même temps du compromis historique (socialisme ouvrier avec camp républicain contre 1 ennemi, les tenants de l'ordre Ancien) qui la fondait, elle n'est plus alors que "Progrès"et "Modernisation" (éléments de langage de gens aussi sinistres que Hollande, Aubry, etc., sans parler de l'infâme Strauss-Kahn), i.e. toutes les fuites en avant de la civilisation libérale (ce que le médiocre Bertrand Delanoë avoua un jour maladroitement en se disant libéral).

« (…) cette Gauche moderne, ou libérale-libertaire, qui contrôle désormais à elle seule l'industrie de la bonne conscience » est en effet le véhicule adapté pour forger l'infrastructure psychologique et imaginaire d'un monde libre et moderne, i.e. composé d'atomes toujours mobiles qui « vivent sans temps morts et jouissent sans entraves ».

 

 

Après « l'impasse Adam Smith », qui était le versant "sciences économiques"de son analyse, Michéa a creusé le sillon pour en proposer ce mois-ci le versant "sciences politiques". C'est du moins ce qui ressort des articles cités ci-dessus. En somme, rien de neuf.

Mais pour ceux qui voudraient plonger, nous signalons que la lecture de Michéa s'apparente au butinage sur la Toile, puisque l'auteur renvoie en permanence les anagnostes modernes dans les notes de bas de page ou les scolies : de cette partie de flipper faiblement philosophique, ils en sortent forcément secoués, à défaut d'être impressionnés.

 

 

Alexandre Anizy

 

(¹) : Michéa n'a vraiment pas tort lorsqu'il écrit : « Les moines-soldats du libéralisme moderne – les Minc, les Attali, et autres Sorman – n'ont jamais ajouté aucune idée véritablement nouvelle à ce vieil évangile. En tout cas, rien qui soit philosophiquement postérieur à ce que l'on trouve déjà au XIXe siècle, dans les œuvres très médiocres d'un J.B. Say ou d'un F. Bastiat. » (p.37)