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Combat de Hawad

Publié le par Alexandre Anizy

            A méditer : sous l'immobilité apparente, le travail lent de la mémoire.           

 

 

Le coude grinçant de l'anarchie ― 1998

 

(...)

Une résistance à la voix volée

est une bombe atomique.

Je l'offre à tous ceux

qui désirent broyer la cervelle de leurs dieux.

Nos cadavres, plusieurs fois achevés,

nos cadavres que le diktat

des chars et des décrets

n'a pas permis de rendre

au placenta de la terre,

nos cadavres sont des explosifs

et je les lègue à tous les exclus

de l'héritage des banques

du monde ici-bas.

Nos cadavres sont des explosifs.

Pour tout un peuple assassiné sur sa terre,

il n'y a pas d'armes plus sûres

que l'interdiction de restituer ses martyrs

au giron de la terre.

Tous les autres bagages de la résistance,

ce sont les envols des vautours

qui les distribuent dans le vent

comme l'allergie épileptique et contagieuse

de la violence.

 

Vous, braves gens,

imaginez tout un peuple,

un peuple pour qui ses fantômes,

comme des fourmis,

travaillent nuit et jour.

 

 

Hawad

( Furigraphie, Poésie Gallimard )

Ce que Taniguchi suggère

Publié le par Alexandre Anizy

            Comment expliquer l'engouement à l'égard des BD contemplatives de Jiro Taniguchi ? 

 

 

            Prenons par exemple L'homme qui marche (Casterman, collection écritures, mars 2017) : 19 chapitres où le non-héros se balade dans son quartier. Il ne s'y passe rien, mais tout y est. Chaque planche contribue au rythme du récit, chaque vignette apporte au moins une information, qu'elle soit relative à l'environnement ou au cheminement intérieur du marcheur. Autrement dit, le lecteur est dans la balade avec contentement.

            A contrario Bastien Vivès, par exemple, lasse en imposant de longs tunnels (lire ici).  

 

 

Alexandre Anizy

Un gourmet at Ze Kitchen Galerie

Publié le par Alexandre Anizy

            Là où le talent se décline en 6 services et non 32.    

 

 

            Nous venions de lire Le gourmet solitaire de Taniguchi & Kusumi (Casterman, 2018), un concentré de ce que nous apprécions dans la BD japonaise. Alors nous choisîmes Ze Kitchen Galerie pour un dîner convivial, afin d'avoir en assiette un zeste d'Asie : avec son menu "dégustation", le chef William Ledeuil nous a régalés. 

            Fort heureusement il y a dans la carte un vin bio du pays d'Oc, là où régnait autrefois celui que d'aucuns appelaient le "milliardaire rouge", qu'un propriétaire original a nommé le chemin de Moscou : excellent à condition de l'aérer avant la consommation, sinon vous retrouvez un Corbières râpeux des temps pas si anciens !

 

 

Alexandre Anizy

 

Alimentation : la filière bio est mal partie

Publié le par Alexandre Anizy

            Si les consommateurs refusent de plus en plus les produits altérés issus de l'agriculture conventionnelle et, en se tournant vers la bio espèrent, pour certains, contribuer à une meilleure rémunération des paysans, ils seront déçus parce que la filière bio est mal partie, selon notre enquête.

 

 

 

 

            Comment en est-on arrivé là ? « ... la politique de la baisse continuelle des prix agricoles a rejeté, progressivement, l'agriculture hors du champ de l'investissement capitaliste. Les capitalistes agraires sont progressivement éliminés avec les propriétaires fonciers, cédant la place à l'essor de la production paysanne familiale. Telle fut l'évolution de l'agriculture au XXe siècle. Par conséquent, il est clair que l'agriculture paysanne constitue, non pas un résidu précapitaliste, mais une forme recréée par le capitalisme moderne, s'articulant à lui de manière exemplaire. L'agriculture paysanne actuelle ne constitue pas une sphère non-capitaliste. Elle présente simplement l'insolite visage d'un capitalisme sans capitalistes. (...) En réalité, l'investissement effréné des paysans dans l'agriculture est appelé à assumer cette tâche : assurer une production croissante sans poser des problèmes ni de rente, ni de profit. » (1) En quelques lignes, Kostas Vergopoulos résume l'évolution de l'agriculture, avec une forte accélération après la Seconde Guerre mondiale : « Les efforts de remembrement, les contrôles rigoureux des transactions sur les terrains agricoles, les dispositions du droit de succession et les autres interventions ne visent que l'optimisation des structures agricoles, voire la préservation de l'exploitation familiale, en interdisant la propriété naine. » (2)

            Mais comme l'écrivait Claude Faure, « dans la production capitaliste, la circulation s'est en effet emparée de la production en ce sens que la production n'est plus qu'un moment de la circulation. » (3). Ajoutons avec Claude Servolin que du fait du développement du mode de production capitaliste (MPC) et de la division sociale du travail, « le petit producteur se trouve donc contraint de vendre sur le marché une partie croissante de sa production, alors que, comme nous l'avons vu, cette production commercialisée est nécessairement vendue en dessous de sa valeur. » (4) Avec l'hypertrophie de la grande distribution (les GMS), la dégradation s'est accélérée.

 

 

 

 

            Notre enquête porte sur quelques produits bio, notamment de maraîchage, vendus en circuit long. La collecte de prix publics, l'analyse sectorielle et l'examen des bilans de quelques acteurs significatifs de la filière bio permettent d'établir le tableau ci-après.

 

 

Coef.

Chou de Brux.

poireau

Prix public ttc conseillé par unité de vente

 

8,30

3,25

tva

1,055

 

 

Prix public ht

 

7,87

3,08

Marge commerciale détaillant

1,33

 

 

PV ht du grossiste

 

5,92

2,32

Marge commerciale  grossiste

1,1758

 

 

PV ht du maraîcher (rendu clients)

 

5,03

1,97

alors Coef. du producteur au public

 

 

1,65

coût transport par unité de vente (U.V.)

 

0,30

0,30

coût location palette IFCO par U.V.

 

0,10

0,08

Prix vente ht du maraîcher (départ Ferme)

 

4,63

1,59

 

 

Pour ces 2 légumes, en partant des prix publics cohérents sur la dernière saison puisqu'ils sont une donnée de l'ensemble du marché des légumes, et compte tenu du fait qu'une baisse de ces prix ciblés n'est pas souhaitable car elle ne se ferait qu'au détriment des producteurs, nous obtenons pour le maraîcher un prix de vente (HT) au départ de la ferme, après avoir retiré successivement la marge commerciale du détaillant, celle du grossiste intermédiaire, puis le coût de transport et celui d'une palette spéciale.

            Malheureusement, les maraîchers n'ont pas vendu à ces prix-là.

            Pour le chou de Bruxelles, le grossiste PRONATURA Provence payait 3,70 € un produit que nous retrouvions à Paris chez NATURALIA à 7,95 €, soit en dessous du prix conseillé, ce qui n'est pas surprenant puisque PRONATURA Bretagne se vante de faire le plan de production et les prix de ses maraîchers... qui ne seraient donc que des engraisseurs de végétaux, comme la filière porcine si décriée.  

            Pour le poireau, BIOCOOP, distributeur de référence dans la filière bio, payait 1,40 €.  

            Dans ces conditions, chacun comprend que la filière bio est déjà déréglée, au sens où tous les acteurs ne sont pas dans leurs justes positions. Il est permis de douter d'une amélioration prochaine, si on observe la filière céréalière bio en partant d'une exploitation.

            Située dans les Deux-Sèvres, cette ferme vendait sa production bio à la CAVAC (très grosse coopérative pas tout bio, d'envergure internationale ― pour exemple : contrat de 20.000 tonnes de blé dur signé avec la marque italienne Barilla), qui lui payait son blé 411 € la tonne en 2017 et lui garantit un prix mini de 400 € la tonne jusqu'à 2022 (4) ; l'excédent brut d'exploitation (EBE) de cette ferme s'élevait à 59 K€ en 2017, avec 48 K€ de subventions (5) : autant dire que la Subvention, c'est la rémunération de l'exploitant. Et sur les rayons BIOCOOP (6), vous trouvez le pain BIOFOURNIL, qui appartient à la CAVAC.           

 

 

            Comme l'écrivait René Dumont à propos de l'Afrique noire (7) au début des années 60, la filière bio est mal partie. Pourtant, un homme politique très responsable avait dit :  « La France ne doit à aucun prix devenir une poussière d'agglomérations urbaines dispersées dans un désert même verdoyant et même entretenu. Sauver la nature qui sera demain le premier besoin de l'homme, c'est sauver la nature habitée et cultivée. Une nature abandonnée par le paysan, même si elle est entretenue, devient une nature artificielle et je dirais une nature funèbre. Toute autre formule, d'ailleurs, serait non seulement déplorable, mais serait ruineuse. Et même sur le plan économique, il est à mon sens plus rentable d'avoir des terres habitées et cultivées par des hommes, même si on est obligé d'aider ces hommes, que d'avoir de vastes réserves nationales, entretenues, conservées et protégées fatalement par une masse de fonctionnaires. » Georges Pompidou (8) Et on a eu la nature abîmée par l'agriculture productiviste d'hommes subventionnés pour le meilleur profit du reste de la filière, la nature désertée par les paysans (fait sociologique majeur du XXe siècle : la fin de la paysannerie), et la masse de fonctionnaires qu'on veut maintenant "dégraisser", et les mégapoles (qui sont les uniques cibles du développement au détriment de la France périphérique (9) : l'effondrement est au bout de l'entêtement mortifère). Force est de constater le fiasco, l'échec économique, écologique et sociale des 60 dernières années.     

            Nous nous gardons de toute prédiction. Ni pessimisme, ni optimisme : comme Pierre Bitoun et Yves Dupont (10), nous écrivons l'avenir en ... Soyons raisonnables puisque tout est incertain.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

 

(1) Samir Amin et Kostas Vergopoulos, La question paysanne et le capitalisme, éditions anthropos-idep, 1er trimestre 1977, page 266-67. (ouvrage réédité en 2016 par NENA en livrel)

(2) Ibidem, p.217.

(3) Claude Faure, Agriculture et capitalisme, éditions anthropos, 1978, page 22.

(4) Ainsi que, pour information, 300 €/t pour le maïs, 1.350 €/t pour la lentille (mini garantis jusqu'à 2022).

(5) Le lecteur intéressé se reportera aux statistiques issues du Réseau d'Information Comptable Agricole (RICA) dans les Dossiers Agreste (Ministère de l'Agriculture).   

(6) BIOCOOP a commencé un programme de boutiques boulangerie (la première a ouvert près d'Agen) : l'accès aux bons produits sera étendu, c'est le  bénéfice des consommateurs ; pour celui du paysan, il faudra attendre, si on a la foi.  

(7) René Dumont, L'Afrique noire est mal partie, Seuil, 1962 (revue et corrigée en 1973).

(8) Georges Pompidou, discours de Saint-Flour en 1971, cité par Pierre Bitoun et Yves Dupont (9), p.174.

(9) Pour comprendre la situation française actuelle, nous recommandons vivement le dernier ouvrage de Christophe Guilluy, No society. La fin de la classe moyenne occidentale, Flammarion, octobre 2018.   

(10) Pierre Bitoun et Yves Dupont, Le sacrifice des paysans. Une catastrophe sociale et anthropologique, éditions L'Echappée, 4e trimestre 2016.

 

Pacte de l'ONU sur les migrations : qui est Louise Arbour ?

Publié le par Alexandre Anizy

            Le pacte de l'ONU sur les migrations fixe un cadre général, aujourd'hui non contraignant, pour les futurs exodes générés par la démographie et le changement climatique : l'objectif est de « maximiser les bénéfices de la migration », dit Louise Arbour, Représentante spéciale de l'ONU. Mais quelles infamies doit-on déjà à cette juriste canadienne ?

 

 

            Le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie fut créé pour juger les crimes commis sur ce territoire après l'éclatement de cet Etat : « le Conseil de sécurité a, en 1993, agi hors de ses compétences. Il donnait d'ailleurs à cette juridiction pénale d'exception des pouvoirs exorbitants, à commencer par la possibilité d'aménager elle-même la procédure suivie devant elle, ce qu'elle a fait à plus de douze reprises entre 1994 et 1997. Le contenu du règlement révèle des atteintes inadmissibles aux principes les plus élémentaires de la procédure pénale. », écrivait François Terré, docteur en droit et professeur émérite, membre de l'Institut de France. (1) En 1996 et jusqu'au 26 mai 1999, Louise Arbour fut procureur général du TPIY : que faut-il penser d'une juriste qui pisse sur les principes élémentaires de la procédure pénale ? Lorsqu'elle arrive à ce poste, Louise Arbour décide de changer la règle de publication de chaque acte d'accusation : avec elle, les inculpations seront secrètes, ce qui est bien commode...

            De 1996 au 26 mai 1999, aucune accusation ne pesait sur le président serbe Milosevic (2), mais le 27 mai, inopinément et quasiment ex nihilo, le TPIY publie son inculpation par Louise Arbour : les médias propagent massivement que "les droits de l'homme l'emportent sur les droits des Etats". Vraiment ?

            Rappelons les faits. Après l'échec de la conférence de Rambouillet (6 février - 19 mars 1999), l'OTAN déclenche l'opération Force alliée le 23 mars 1999, qui vise à bombarder des "cibles politiquement correctes" selon l'expression du général américain Clark (3), c'est à dire le complexe militaro-industriel serbe et les infrastructures, causant quelques dégâts collatéraux, comme l'ambassade chinoise à Belgrade... « Durant la première semaine, alors qu'on cherchait désespérément à justifier l'intervention, car l'exode des Albanais n'était pas suffisamment massif, on avait inculpé Arkan [le 1 avril 1999, sans rendre publiques les charges retenues...]. Louise Arbour était apparue sur les écrans pour apporter sa contribution au renouveau moral de l'humanité. Avec le visage grave d'un juge sévère et en termes compassés, comme il sied à un procureur, elle avait expliqué que l'acte d'accusation était dressé depuis longtemps et que le Tribunal avait décidé que le moment était venu de le divulguer. » (4) Enfreignant la règle du secret qu'elle avait elle-même instaurée, à un moment opportun pour les Etats bombardeurs, « Louise Arbour se comportait en activiste de l'OTAN » (5) Déjà.

            Alors pourquoi inculper Milosevic le 27 mai 1999 ? « Deux mois s'étaient écoulés depuis le début des frappes. Le soutien de l'opinion publique commençait à faiblir : pour la première fois les sondages faits aux Etats-Unis montraient que la majorité de la population était contre la guerre et la cote de popularité de Clinton plus basse que jamais. Le fondamentalisme du week-end s'essoufflait, l'été approchait. On avait à peu près la même situation en France. Parallèlement, les pourparlers entre Tchernomirdine et Milosevic progressaient. On pouvait espérer aller vers la paix, mais vers une paix de compromis, mauvaise pour l'OTAN. Les gouvernements italien et allemand commençaient à demander avec insistance un accord à l'amiable. C'était le temps des hésitations. La crise n'avait jamais été aussi profonde entre alliés. Cette semaine-là était décisive pour la conduite ultérieure de la guerre. Comme l'a reconnu plus tard le général Clark, le bombardement de "cibles politiquement correctes" ne pouvait se prolonger que de dix jours, ensuite, il allait falloir bombarder la Serbie tout entière. C'en était bientôt fini de la guerre "morale mais sans scrupule", très vite, il ne resterait plus que l'absence de scrupules. » (6) Examinons la chronologie :

  • mercredi 19 mai : réunion Clinton - général Clark : décision prise d'envoyer 90.000 soldats américains au Kosovo (Cf. le Times), qui signifie la préparation à la guerre totale ;
  • vendredi 21 mai : réunion Louise Arbour - Madeleine Albright, Secrétaire d'Etat américain, qui s'achève par une conférence de presse dans laquelle ces deux dames parlent des "crimes de guerre commis par les Serbes" ;
  • samedi 22 mai : Louise Arbour prend la décision d'inculper Milosevic ;
  • mercredi 26 mai : Louise Arbour est nommée juge à la Cour Suprême du Canada (décret 1999-0941) ;
  • jeudi 27 mai : publication de l'inculpation de Milosevic par le TPIY.
  • jeudi 27 mai : réunion secrète des ministres de la Défense des principaux membres de l'OTAN et décision prise "d'intensifier les frappes" ;
  • jeudi 27 mai : Clinton annonce qu'il va envoyer 90.000 soldats au Kosovo. (7)

Une chronologie qui n'honore pas Louise Arbour. Grâce à elle, l'Empire et ses alliés feront maintenant la guerre au crime, n'est-ce pas ?

            Mais que se passa-t-il ensuite pour Milosevic au TPIY ? Redonnons la parole au digne professeur de droit François Terré : « Cet accusé [Milosevic] sur lequel pesaient tant de charges, une parodie de justice a réussi à en faire une victime. Il existe encore aujourd'hui des juristes trop attachés au droit et à la justice pour en supporter d'insupportables travestissements. » (8)

            Ayant agi en bon janissaire à col blanc de l'Empire, la carrière professionnelle de Louise Arbour fit donc un saut suprême.

 

 

            Sachant les infamies passées du procureur Louise Arbour, que faut-il penser du Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU pour les migrations Louise Arbour quand elle déclare, que le pacte de l'ONU sur les migrations n'est pas contraignant ? Rien de bon pour l'humanité.            

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Dans Le Monde du 14 mars 2006.

(2) Il signa les accords de Dayton le 14 décembre 1995, mettant fin aux combats en Bosnie.   

(3) Stanko Cerovic, Dans les griffes des humanistes, éditions Climats, 2001, page 283.

(4) Ibidem, page 278.

(5) Idem, p.279.

(6) Idem, p.282-83.

(7) Idem.

(8) Dans Le Monde du 14 mars 2006.   

Les Gilets jaunes oeuvrent pour la nouvelle saison de Prévert

Publié le par Alexandre Anizy

            Grâce aux Gilets jaunes, viendra-t-elle ?     

 

 

LA NOUVELLE SAISON

 

Une terre fertile

Une lune bonne enfant

Une mer hospitalière

Un soleil souriant

Au fil de l'eau

Les filles de l'air du temps

Et tous les garçons de la terre

Nagent dans le plus profond ravissement

Jamais d'été jamais d'hiver

Jamais d'automne ni de printemps

Simplement le beau temps tout le temps

Et Dieu chassé du paradis terrestre

Par ces adorables enfants

Qui ne le reconnaissent ni d'Eve ni d'Adam

Dieu s'en va chercher du travail en usine

Du travail pour lui et pour son serpent

Mais il n'y a plus d'usine

Il y a seulement

Une terre fertile

Une lune bonne enfant

Une mer hospitalière

Un soleil souriant

Et Dieu et son reptile

Reste là

Gros saint Jean comme devant

Dépassé par les évènements.

 

Jacques Prévert

(dans la Pléiade volume 1, 1992)

Tailler un chemisier à Bastien Vivès

Publié le par Alexandre Anizy

            Aujourd'hui, en bon père de famille, la maison Anizy conseille d'épargner plutôt que d'acheter deux BD de Bastien Vivès.

 

 

            On commence par Le chemisier (Casterman, 2018), dont les dessins sont trop souvent inachevés, notamment dans les tunnels qui embarrassent (par exemple, planches 28 à 34) ― cela peut-il faire un style ? ―, et le scénario faiblard.

            On termine avec Elle(s) (Casterman, 2017), où l'artiste a pris la peine de colorier dans des teintes fadasses, donné des traits ahurissants aux personnages, notamment les lèvres botoxées des 2 héroïnes, le tout dans un scénario toujours mince.    

 

            Mais c'est vous qui payez, non ?

 

 

 Alexandre Anizy

 

OPEX : l'inefficacité exemplaire de Serval

Publié le par Alexandre Anizy

            En Afrique, comme rien ne change vraiment, il faut constater l'inefficacité des opérations extérieures (Opex, dans le jargon) de la France, et esquisser une autre approche. C'est l'objectif de 2 militaires brevetés de l'Ecole de Guerre, Jean-Gaël Le Flem et Bertrand Oliva avec leur essai, qu'il faudrait dépasser.

 

 

 

            Avec Un sentiment d'inachevé - Réflexion sur l'efficacité des opérations (éditions de l'école de guerre, juillet 2018, 15 €), les auteurs ne réfléchissent pas sur la conflictualité en comparant les stratégies, mais à la manière d'améliorer l'efficacité des opérations actuelles, qu'ils classent dans un sixième modèle stratégique (1) : « des ambitions limitées (absence d'enjeux vitaux immédiats pour la France), des moyens limités et une faible liberté d'action (du fait des fortes contraintes de l'environnement global). » (p.17)  

 

            D'une première partie cernant la notion d'efficacité d'une guerre, et par extension d'une intervention, nous retiendrons ce point : « La tentation est grande, pourtant, d'essayer d'"objectiver" les résultats produits par les interventions extérieures. Il s'agit dans ce cas de créer une grille d'évaluation [quantifier donc, comme tout bon manager... ndAA], des "metrics" selon la terminologie américaine désormais employée. (...) Cette approche très otanienne, qui décorrèle l'action militaire de son objectif politique, ne semble pas pertinente. » (p.32-33) Prenons un exemple montrant la difficulté de la méthode : comment évaluer l'évolution de la stabilité d'un pays ?   

            Citant Tocqueville, les auteurs savent que les "affaires du dedans" influencent les "affaires du dehors" : si l'OPEX sert principalement à relever la cote de popularité d'un président à la ramasse en vue d'une échéance électorale proche, il y a fort à parier que l'inefficacité sera maximale, puisque l'efficacité stratégique s'apprécie sur le moyen et long terme et elle n'est « donc pas la victoire ; en Centrafrique, par exemple, un délai de quelques années de stabilité précaire est, sans doute, une forme de succès stratégique » (p.37).     

            Par conséquent, « l'efficacité militaire consiste en une perpétuelle adaptation, dans son intensité et dans ses modes d'action, à l'objectif politique » (p.38), et 7 facteurs y contribuent (p.39) :

  • la formulation d'objectifs politiques clairs et atteignables ;
  • la mise en œuvre d'une stratégie interministérielle ;
  • la traduction des objectifs politiques en objectifs militaires atteignables par les forces armées ;
  • la mise à disposition de moyens suffisants ;
  • la constitution d'alliances ;
  • le soutien de la population ;
  • la perception de la légitimité de l'opération. 

Mais que se passe-t-il quand la chose militaire s'oppose à l'ambition politique ? Exemple de l'Afghanistan en 2011-12, quand Sarkozy de Nagy Bocsa visait sa réélection : « (...) le seul impératif devenant d'éviter à tout prix les pertes. (...) Très concrètement, les soldats se sont vus astreints à ne sortir de leurs fortins qu'en cas de nécessité, c'est à dire pour se ravitailler. Principal bénéficiaire de cette limitation volontaire de l'efficacité militaire, les talibans (...). » (p.54-55)

 

 

            D'une deuxième partie traitant des limites des stratégies actuelles, nous retenons la saine critique du concept "approche globale", appliquée dans tous les pays occidentaux, d'une part parce qu'elle dégénère inéluctablement en bureaucratisation et en hypertrophie des états-majors [ l'OTAN n'est-elle pas une armée mexicaine ? ndAA ] : « Il suffit, à ce sujet, d'observer un état-major américain en opérations qui aligne des centaines de planificateurs travaillant sur des dizaines d'options de planification pour comprendre vers quelle pente nous emmène l'approche globale lorsqu'elle est développée à son maximum. (...) on considère aujourd'hui, non sans cynisme, que pour simplement sortir d'un camp militaire en opération extérieure à l'étranger, une unité combattante doit réaliser un PowerPoint volumineux, validé par les plus hautes autorités du théâtre tout en s'assurant que les autorités parisiennes soient au courant. » (p.76-77) ; 

d'autre part parce que la cinématique opérationnelle appelée continuum des opérations (3 phases : intervention - stabilisation - normalisation) n'a guère de pertinence : « cette logique implacable paraît particulièrement convaincante lorsqu'elle prend la forme d'un schéma ; elle pose empiriquement un sérieux problème lorsque l'ennemi ne porte pas d'uniforme et lorsqu'aucune défaite n'a été reconnue par l'adversaire pour déterminer le passage d'une phase à la suivante. » (p.79).

            Les Opex représentent une des formes de La guerre probable (2), qui est asymétrique et hors limite, et où le continuum est bigrement dégradé, comme l'écrit le général Vincent Desportes (ici). Puisque les auteurs posent des Regards sur le monde actuel ― Paul Valéry est cité ―, il est curieux que Desportes ne soit pas discuté (Cf. sa 2ème partie : les nouvelles conditions de l'efficacité militaire).

 

 

******************

 

Scolies  

            Soulignons quand même ici que la vassalité française finira par trouer le voile des incantations théâtrales, forcément théâtrales, car même si Jupitérito déclare :  

            « On ne protègera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne. (...) Face à la Russie qui est à nos frontières et qui a montré qu’elle pouvait être menaçante (...) on doit avoir une Europe qui se défend davantage seule, sans dépendre seulement des Etats-Unis et de manière plus souveraine » (3) ;

les auteurs, qui pensent sans fantasmer, écrivent :

            « Aujourd'hui, c'est avec les Américains que la France est la plus à même de travailler : le cadre OTAN a fourni un creuset commun ; le statut de nation cadre des Etats-Unis en Afghanistan était évident et a poussé la France à s'aligner sur leurs procédures. En Europe, la France entretient des relations privilégiés avec la Grande-Bretagne depuis les accords de Lancaster House et réalise des entraînements communs réguliers qui rendent crédible un éventuel engagement ultérieur en coalition. (...) A ce titre, le discours européen volontariste qui rêve d'une armée européenne à court terme en y voyant un "petit pas", une "coopération de fait" supplémentaire, est discutable. (...) Une armée commune pourra parachever une création politique mais n'en créera pas les conditions. » (p.95)

 

            Ajoutons que Jupitérito ancre sa géopolitique dans l'anti-russisme du vieux monde, alors que l'ancien président Sarkozy de Nagy Bocsa sait le dépasser pour esquisser une forme nouvelle de l'architecture de sécurité du continent européen : « Il importe maintenant d'imaginer au-dessus de l'Europe une nouvelle organisation supranationale qui rassemblerait 3 partenaires fondateurs : l'Europe, la Turquie et la Russie. On instaurerait ainsi un dialogue politique à haut niveau et on évoquerait les questions de sécurité, de terrorisme et de coopération économique. » (4)

[ Mais que les Dieux nous préservent de son mille-feuille européen ! ]

 

******************************

 

 

            Venons en à l'opération Serval, dans ses grandes lignes.

            Fin 2012, le Mali fait appel à la France, parce qu'il est incapable d'arrêter les rebelles djihadistes en marche vers la capitale Bamako. Ayant obtenu un mandat de l'ONU (20 décembre 2012), la France intervient le 11 janvier 2013 : « En moins de 3 semaines, plus de 5.000 hommes, 1.700 véhicules et 50 aéronefs infligent, dans un premier temps, un sévère coup d'arrêt aux colonnes rebelles, puis dans un second temps, portent la lutte jusque dans les zones refuges du nord du pays. Ainsi, le premier mai 2013, la capacité de nuisance des groupes armés terroristes (GAT) peut être considérée comme durablement réduite, permettant à Bamako de retrouver une certaine quiétude. » (p.151-52)

            Alors où est l'erreur ? « Ce qui est probablement discutable est d'avoir donné une victoire trop absolue aux autorités de Bamako. » (idem)   En effet, lorsque les négociations s'ouvrent pour répondre à la question de l'identité Touareg à l'origine du conflit, le gouvernement de Bamako ne concède rien, et le sauveur qui lui a déjà tout redonné n'a plus de moyens de pression. « L'opération Serval semble paradoxalement avoir été trop rapide ; elle a obtenu des succès tactiques à contretemps diplomatique. Littéralement, le pouvoir diplomatique est arrivé après la guerre. » (p.153) La situation malienne est dans l'impasse, parce que la France, dès le commencement, a misé sans filets sur le pouvoir corrompu et déliquescent du président IBK. Retour à la case pourrie du départ. Inefficacité totale.

 

            Les auteurs exposent ensuite leur approche, la médiation armée.

            « Puisqu'il s'agissait avant tout de restaurer un équilibre entre 2 belligérants qui semblent condamnés à vivre ensemble, le parallèle avec une médiation s'impose, à 2 nuances fondamentales près : les bons offices du médiateur ne sont d'emblée reconnus que par l'une des parties et le médiateur n'est pas dans une posture de neutralité, puisque ce dernier possède un corps expéditionnaire pour poser sur le cours des choses. » (p.154)

Les auteurs l'appliquent au cas malien. Premièrement, avant toute opération, il aurait fallu négocier avec le président malien les contreparties de l'intervention envisagées par la France : par exemple, l'engagement public de IBK de « mettre en oeuvre une meilleure représentativité ethnique dans l'appareil d'Etat, comme cela est le cas au Niger ou au Nigéria ». Cette main tendue, acte fort précédant les hostilités, aurait montré aux Touareg modérés qu'une issue favorable était possible : il vise concrètement à casser la dynamique psychologique des rebelles, due à leur frustration, en les scindant  en deux groupes (pour / contre une négociation).

            Deuxièmement, c'est le déploiement des troupes : minimal pour protéger nos ressortissants à Bamako, si le président IBK n'a rien cédé ; maximal si l'engagement public de la main tendue est pris. A ce stade, l'intervention place les 2 belligérants sous contrainte : soutien conditionné à IBK, pas de victoire totale possible pour les rebelles. En même temps que le déploiement, un intense travail diplomatique est entrepris vers les rebelles pour qu'ils préfèrent la négociation à la confrontation armée.

            Troisièmement, il s'agit d'exercer une pression militaire différenciée sur les belligérants pour les amener à la fin du conflit : « Il s'agit donc de procéder par actions successives coupées de négociations. » (p.158)

            Quels sont les critères pour réussir une médiation armée ?

  • Légitimité

d'abord internationale (mandat de l'ONU), mais surtout auprès des belligérants eux-mêmes, en évitant l'argument de la neutralité, puisque nous intervenons parce que les intérêts de la France sont touchés ;

  • Mise en avant d'une faible ambition

Dans la sphère médiatique, il faut immédiatement "marteler" les objectifs modestes du corps expéditionnaires, ce donnant ainsi une liberté de manoeuvre politique ;

  • Discrétion

Cela concerne le travail diplomatique ;

  • Empathie analytique

Montrer aux belligérants notre empathie analytique, c'est à dire notre aptitude à comprendre les mobiles profonds de tous, contribue à la réussite de la négociation, contrairement au déni d'humanité à l'Autre (René Girard, Achever Clausewitz, cité) ;

  • Pilotage politique

C'est le critère central : voir ci-dessous ;

  • Pré-positionnement et réactivité

« Pour qu'une médiation armée ait une chance de succès, il faut savoir jouer sur la gamme complète du combat régulier, irrégulier, de la guerre "couplée", du combat spécial et clandestin. » (p.164)

Les auteurs, sous le nom de médiation armée qui est une adaptation de la diplomatie au contexte des opérations extérieures, visent à en finir avec « ce que le général Desportes (5) appelle, de façon un peu abrupte, "notre incapacité lamentable à intégrer et à coordonner nos actions diplomatique et militaire à chaque fois que nous cherchons à mettre un terme à la guerre". » (p.166)  

 

            Dans le chapitre 2 de la 4ème partie, l'incarnation de la volonté politique, la question du pilotage politique des Opex est détaillée. En soi, ce n'est pas le chapitre le plus instructif, mais il nous inspire une idée force. 

            Evidemment, l'usage de missi dominici ne serait pas une nouveauté, et notre période coloniale regorge de militaires aux pouvoirs étendus (Bugeaud, Lyautey, de Lattre, par ex.). En 1955, Mendès-France avait nommé un civil, Jacques Soustelle (6), au poste de gouverneur général de l'Algérie, sorte de proconsul. « Un pilotage politique quotidien, mené localement par un représentant spécial sur le théâtre est nécessaire pour que la volonté présidentielle ne soit pas trahie par les frictions de sa mise en oeuvre, quelle que soit l'origine de ces dernières. Il est à noter que ce constat est régulièrement réalisé par des officiers généraux ayant commandé des interventions récemment. » (p.172) Quant à penser que le progrès technique permet un pilotage de Paris, c'est méconnaître la situation réelle où l'on constate le rallongement des délais pour les actions concrètes. Pour les Opex, les 2 auteurs pensent donc qu'un haut commissaire, nommé au Conseil des ministres, assistant aux conseils de défense et disposant d'un budget, « serait peut-être plus à même d'exercer son double rôle de coordinateur des acteurs et de mise sous pression des belligérants ».   

            Cette proposition nous semble pertinente.

            Mais aujourd'hui, en dernière analyse, les Opex sont des cautères sur une jambe de bois. Voici pourquoi.

 

 

            Une mission spéciale remplie par un haut commissaire (peu importe ici le mot retenu), nous la jugeons encore plus utile pour une opération de plus ample portée : l'aide concrète au développement économique de l'Afrique. En effet, tous les hommes d'Etats savent que le problème démographique et les flux migratoires qui en découlent ne font que commencer. Les bouleversements climatiques s'y ajouteront. Seul un gigantesque effort de développement régional aux dimensions écologique, économique et sociale pourra résoudre les difficultés, sous peine de voir l'aggravation de l'exode africain.

            Secourir les migrants, c'est le geste digne de tout humain ; militer pour l'immigration, c'est l'action de belles âmes sans éthique de responsabilité, complices (in)conscientes du choix mortifère d'une bourgeoisie d'affaires vorace.

            C'est pourquoi la France doit intervenir par solidarité et par intérêt. Elle doit vraiment intensifier localement son aide, parce qu'il faut agir à la source. Mais agir sans naïveté ( i.e. ne pas laisser se remplir les coffres de banque zurichoise d'une classe dirigeante corrompue ; ne pas engraisser Vincent Bolloré, parce que le plan d'affaires du Groupe familial n'est pas l'intérêt de la France ; etc... ), et sans complaisance. Si nous voulons rendre efficace l'action de la France en Afrique, là où nous avons une légitimité historique ― que cela plaise ou non, c'est un fait ―, la désignation d'un émissaire régional permettrait, comme pour les Opex, d'améliorer les délais d'exécution et les résultats d'un autre plan Marshall.  

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) Dans Introduction à la stratégie, le général Beaufre [qui inspirent beaucoup les 2 auteurs, ndAA] définit 5 modèles.

(2) Général Vincent Desportes, La guerre probable, Economica, 2ème édition octobre 2009.

(3) Le Président Macron à la radio Europe 1, mardi 6 novembre 2018. 

(4) Entretien paru dans Le Point du 1er novembre 2018.

(5) S'il est cité et repris ici dans le texte, Vincent Desportes ne figure pas dans la bibliographie contrairement à Paul Valéry, grand militaire comme chacun sait... Cet oubli, avec la sourde critique de leur "de façon un peu abrupte", est-il une marque de pusillanimité d'auteurs carriéristes, sachant que Desportes ne semble plus en odeur de sainteté dans le métier ?

(6) De par son action auprès du Général De Gaulle, les affaires de Sécurité n'étaient pas étrangères à Jacques Soustelle.