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Après la guerre : Le Corre est too much

Publié le par Alexandre Anizy

            Les gazettes le portent au pinacle : comme avec un Manoukian en haut de l'affiche (1), nous aurions dû nous méfier... Mais comme nous aimons lire dangereusement, nous achetâmes le dernier Hervé Le Corre titré Après la guerre (Rivages, 2014, livrel à 13,99 € - trop cher !), qui vient de nous achever.

 

            Ce n'est pas que ce gars-là écrive platement et qu'il sache peaufiner une architectonique d'enfer pour un thriller, qui nous font renâcler pour ce billet. Non ! C'est l'empilement des livres dans le livre. Pensez donc : on a droit à la Collaboration, la Résistance, les flics pourris de Bordeaux, les camps de la mort (c'est quand même pas du Primo Levi ou Boris Pahor), le retour des déportés et l'incommunicabilité de l'horreur, les gueules cassées, et même l'Algérie, les saloperies de l'armée française, la désertion, et puis la vengeance, les retrouvailles du final... Ça fait beaucoup, Le Corre.

 

            D'ailleurs le final, parlons-en. Après nous avoir mené en cargo, passant d'un lieu ou d'une époque à un autre, le méchant finit par être tué mais pas par le gentil qui rentre du bled comme d'aucuns pouvaient l'imaginer... Du coup, ils s'interrogeront peut-être sur l'utilité d'un si long détour en Algérie ? (Pour notre part, nous avons allègrement sauté ces chapitres, préjugeant qu'ils étaient hors sujet) Le final étant si ordinaire, on parierait, si on était joueur, que l'auteur l'a torché après un conseil appuyé de l'éditeur pour mettre un terme à son histoire filandreuse.

 

            Franchement, avec Après la guerre, Le Corre est too much.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) lire notre billet Avec Ian Manook l'hebdo Elle vous prend pour des connes

 

http://www.alexandreanizy.com/article-avec-ian-manook-l-hebdo-elle-vous-prend-pour-des-connes-124255779.html

 

Souvenirs du Résistant déporté Maurice Wolf (es brennt)

Publié le par Alexandre Anizy

            En cette année de commémoration de la Grande Boucherie et en ce jour de Libération de Paris en 1944, il peut être utile de lire le livre de souvenirs d'un Résistant déporté à Auschwitz pour se convaincre que les hommes retiennent peu les leçons de l'Histoire, par exemple celui de Maurice & Stéphane Wolf titré Es brennt (L'Harmattan, mars 2008, 248 pages, 23 €).

 

            Avec une sobriété stylistique qui sied au propos, l'ancien combattant torturé par la Gestapo relate des faits d'armes et des scènes de la vie quotidienne sous l'Occupation : nous ne sommes pas dans le récit et le décorum habituels. C'est une raison de plus pour ne pas éteindre la flamme !

 

 

 

Alexandre Anizy

 

Avec Amazon pour la baisse du prix des livrels

Publié le par Alexandre Anizy

            Amazon a lancé une offensive commerciale mondiale pour arracher une baisse du prix des livrels : Amazon veut un prix public maximum de 9,99 $ pour la première édition numérique (sa cible Hachette les vend actuellement entre 12,99 et 19,99 $), avec une nouvelle répartition monétaire du prix hors taxe : 50 % pour l'auteur, 30 % pour le distributeur et 20 % pour l'éditeur.

            Nous appuyons cette offensive (1), parce qu'elle avantage le lecteur sans nuire aux auteurs.

            Bien sûr, nous n'ignorons pas l'objectif réel d'Amazon : d'abord augmenter sa part de marché pour enfin rentabiliser ses investissements, puis être en mesure d'imposer le prix public qui lui permettra d'éliminer des adversaires (Amazon prendra soin d'en laisser sur le tapis pour ne pas tomber sous le coup des lois). Depuis 20 ans, il faut savoir qu'Amazon n'a pas beaucoup gagné d'argent avec les livres, autrement dit que la pertinence de son modèle économique reste à démontrer.

            Ce sont les spéculations boursières qui ont monstrueusement enrichi certains actionnaires d'Amazon, avec en première ligne le fondateur Jeff Bezos, et non pas les résultats économiques de l'entreprise.

           

            Connaître le dessein final du marchand Bezos ne peut pas être une raison suffisante pour s'opposer à une offensive bénéfique pour le lecteur, l'auteur, et même l'éditeur.

 

            Passons sur ces auteurs établis sur le marché, 909 Américains et plus de 1.188 Allemands, qui ont pétitionné pour la défense de leurs revenus et accessoirement de leurs éditeurs, laissant le lecteur à sa peine. Pour eux, faudrait-il que rien ne change ?

 

            Examinons plutôt la riposte des éditeurs. Leurs arguments sont pour l'essentiel :

  • si Amazon devient dominant, il abusera de sa position ;
  • si Amazon devient dominant, l'offre éditoriale s'appauvrira ;
  • le service d'autoédition d'Amazon ne rend pas le service que l'éditeur assure aux auteurs, à savoir la promotion et la diffusion mondiale.

            Nous constatons que du point de vue économique le lecteur ne fait pas partie des préoccupations des éditeurs. Est-ce bien raisonnable ? Quant à la promesse d'une offre éditoriale non restreinte par les critères de rentabilité ou d'idéologie (i.e. la pensée unique, la morale, etc.), chacun devrait savoir ce qu'il faut penser des promesses...

            Alors les éditeurs sont-ils d'horribles conservateurs ? Non, évidemment. Mais ils ne veulent pas tuer la poule aux oeufs d'or en devenant des entrepreneurs schumpéteriens, c'est à dire s'emparer d'une innovation technique pour changer la donne. En effet, si les éditeurs prenaient en main la diffusion des livrels, voici les avantages que le marché en tirerait :

  • le prix maximum de 9,99 $ serait possible pour le plus grand bénéfice du lecteur, sans nuire aux profits des éditeurs...
  • puisque la répartition du prix hors taxe serait de 50 % pour l'auteur, 50 % pour l'éditeur ;
  • aucun argument économique sérieux justifierait la restriction de l'offre éditoriale.

            Mais pourquoi les éditeurs n'agissent-ils pas dans ce sens ? Il faut croire qu'ils préfèrent pour l'instant maintenir l'illusion d'un marché libre du livre que les gentils libraires orienteraient par leurs conseils gracieux aux lecteurs non conditionnés. Le marché du livre étant déjà concentré au niveau mondial, il importe à l'édition de ne pas apparaître comme une banale industrie où le poids du capital pèse sur le choix du lecteur.

 

            Que fait le ministre de la Culture Aurélie Filippetti dans cette bataille (2) ? Il défend les mastodontes de l'édition au détriment du consommateur, au nom du pluralisme. Les saloperies se font toujours en vertu des grands principes. Au moins en tant qu'écrivain, madame Filippetti reste constante dans la reconnaissance du ventre et du reste, puisqu'elle disait déjà en 2012 :

            « Et moi je l'ai ressenti en tant qu'auteur : j'aurais pu écrire le même livre que celui que j'ai rédigé (Les derniers jours de la classe ouvrière, 2003). Mais si je n'avais pas eu Jean-Marc Roberts (le patron de Stock), le résultat n'aurait pas été le même. On a besoin de  cette médiation, pour se reconnaître, soi-même, comme auteur, et pour savoir que son texte est vraiment un livre. Tous les textes ne sont pas des livres. C'est l'éditeur qui fait la littérature. » (cité par Pierre Assouline, Monde des Livres du 5 juillet 2012)

            Comme vous y allez, madame Filippetti ! Disons plus judicieusement que l'éditeur fait son commerce, et qu'il doit offrir pour cela un produit de qualité (et à son goût, et plutôt conforme aux idées dominantes du moment, etc.), ce qui lui impose parfois de demander à des auteurs de revoir leurs textes. Comment l'éditeur choisit-il un auteur ? Le cas de figure de l'auteur Filippetti est un bon exemple (mais il n'est pas le seul, évidemment) : nous avons un Normalien (2 avantages compétitifs à cette filière : il sait écrire, et vous aurez un accueil favorable du réseau de l'Ecole Normale Supérieure, ce qui limite le risque du fiasco commercial), qui plus est jeune adhérente du parti des Verts devenue membre du cabinet ministériel d'Yves Cochet à peine sortie de l'école, ce qui lui permit d'être élue conseillère municipale du Ve arrondissement de Paris en mars 2001, à 28 ans... Pour l'éditeur Roberts, il y avait là une belle histoire, tout ce qu'il faut pour la promotion du livre (Les derniers jours de la classe ouvrière, 2003) dans les médias. Ainsi, que l'auteur devenu ministre Filippetti ne crache pas dans la soupe de l'édition, qui lui reprocherait cette attitude ô combien morale ?

 

 

            En résumé, pour la baisse du prix des livrels nous soutenons l'offensive d'Amazon et rejetons la position des éditeurs tenue pour de mauvaises raisons.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Nous n'avons pas attendu Amazon pour dire ce que nous pensons du marché du livre

http://www.alexandreanizy.com/article-la-loi-lang-nuit-gravement-a-la-culture-122057518.html

 

(2) Tout le bien que nous pensons de madame Aurélie Filippetti dans :

            http://www.alexandreanizy.com/article-29282017.html

            ET

http://www.alexandreanizy.com/article-32658578.html

 

Guerre en Ukraine comme au Kosovo ?

Publié le par Alexandre Anizy

            Contrairement à la parole de Bush à Gorbatchev, les Etats-Unis ont bien tiré avantage de la situation en 1990, notamment en laissant l'Allemagne, tant que sa politique étrangère fondée sur le multilatéralisme (1) ne s'oppose pas à la stratégie américaine d'encerclement, contribuée à l'éclatement de la Yougoslavie par ses liaisons secrètes et paramilitaires, par sa diplomatie partisane (2). Ce foyer de guerre n'était pas encore éteint en septembre 1994 que l'Allemagne exprimait clairement sa vision continentale dans le document Schäuble - Lamers (2 responsables politiques du CDU de Helmut Kohl) en posant l'élargissement à l'Est ( une sorte de Neue Ausdehnung ostwärts ) comme une priorité de l'Union Allemande (UE). Comme par hasard, en 1994 la CIA pronostiquait un éclatement de l'Ukraine sur le modèle de la Yougoslavie.

 

            Si en 2008 l'Allemagne (et la France) bloquait le processus d'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine, appliquant ainsi le principe multilatéraliste, elle ne le fit pas en 2013 lorsque l'Union allemande (UE) l'inscrit entre les lignes de l'accord d'association et de libre-échange... Or comme Gilles Andréani, nous pensons qu' « autrement lourd de conséquences a été l'élargissement de l'OTAN, qu'il était totalement déraisonnable d'envisager sérieusement pour des pays aussi proches à tous points de vue de la Russie que l'Ukraine et la Géorgie ». (dans Commentaire n° 146, été 2014, page 288) Mais le pouvoir russe étant considéré comme une "menace majeure" puisqu'il exprimerait une volonté de "reconquête impériale" selon le stratège américain Brzezinski (d'origine polonaise), il serait naïf de croire à l'arrêt de l'encerclement de la Russie, une entreprise commencée dès 1990. Pourquoi ? Dans son livre La revanche de la géographie  (3), Robert D. Kaplan donne une réponse en nous rappelant la thèse de Mackinder (de 1919) :

« Le nouveau Heartland correspond donc plus ou moins à ce que deviendrait l'Empire soviétique à son apogée lors de la guerre froide. Ou plutôt devrais-je dire : l'Empire soviétique plus la Norvège, le nord de la Turquie, l'Iran et l'ouest de la Chine. La plupart des Chinois vivant sur les côtes, sujettes à la mousson, le Heartland de Mackinder est une Eurasie centrale qui exclut les zones fortement peuplées de la Chine, de l'Inde et de l'Europe de l'Ouest. »  

En Ukraine, l'Empire américain est une puissance maritime qui poursuit son travail d'encerclement du Heartland  par le biais des Européens otanesques, tandis qu'il se prépare à un choc en mer de Chine.

            Il faut être un atlantiste zélé qui a perdu la rigueur intellectuelle comme Camille Grand pour tenir un raisonnement spécieux visant à démontrer que la Russie est "l'agresseur" dans la crise ukrainienne ; mais comme ce propagandiste de l'Occident ( défini comme « un ensemble géographique et un groupe de pays partageant valeurs et intérêts, est uni pourra préserver une certaine vision des relations internationales et de l'ordre européen pendant la paix froide (4) qui s'annonce » ) penche décidément trop pour l'Empire américain, il finit par se contredire en avouant la finalité réelle de l'accord d'association et de libre échange entre l'Union allemande (UE) et l'Ukraine :

« L'Union européenne avait feint de croire, ou s'était persuadée, que l'accord d'association avec l'Ukraine n'était qu'un accord technique et commercial repoussant à long terme la perspective d'adhésion, alors qu'il s'agit bien d'un choix stratégique perçu comme tel à Kiev et à Moscou. » (dans Commentaire n° 146, été 2014, page 296)

 

            En invoquant l'autonomie et la volonté des manifestants de la place Maïdan mais en s'appuyant sur les nationalistes d'extrême-droite "Secteur droit", qui revendiquent l'héritage du collaborateur ukrainien Bandera de 1941, l'Union allemande (UE) mit le président ukrainien Ianoukovitch démocratiquement élu dans l'obligation de se démettre (5), et elle veilla à l'installation de Porochenko, un autre oligarque compromis qui a le bon goût d'avoir choisi depuis longtemps l'ultralibéralisme et le camp de l'OTAN. Il ne faut pas être dupes de la manœuvre Maïdan : « Un air de "déjà vu", dans la logique des révolutions néolibérales - dites de couleur - ayant frappé l'espace postsoviétique dans la décennie 2000, sous l'impulsion d'ONG à financement anglo-saxon, d'opposants et de relais locaux, sponsorisés par la manne dollarisée des "droits de l'homme". » ( Jean Geronimo, Humanité du 6 août 2014 ) (6)

            Alors la question se pose aujourd'hui : ayant favorisé l'arrivée de Porochenko au pouvoir et compte tenu de la guerre totale qu'il mène contre les Ukrainiens du Donbass, l'Union allemande laissera-t-elle Kiev oppresser la minorité russe après sa probable victoire militaire, comme elle a abandonné la minorité serbe aux mains des criminels de l'UCK ? (7) 

 

            Force est de constater que la pax americana est devenue inordinatio americana.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) Selon Pascal Boniface, une nouvelle forme de puissance qui repose « sur une capacité à jouer sur une toile de fond multilatérale et à s'adapter continuellement à la nouvelle géométrie mondiale », cité par Georges Valance, La revanche de l'Allemagne, éditions Perrin, octobre 1999, page 264.

 

(2) lire nos billets sur ce thème, notamment :

http://www.alexandreanizy.com/article-l-europe-est-morte-a-pristina-en-1999-selon-jacques-hogard-123950760.html

http://www.alexandreanizy.com/article-au-kosovo-l-allemagne-achevait-la-yougoslavie-124277964.html

 

(3) Robert D. Kaplan, La revanche de la géographie, éditions du Toucan, 2014 : chapitre 4 - l'Eurasie est au cœur de toutes les luttes.

 

(4) Le concept de paix froide que reprend à son compte Camille Grand, et qui veut mettre sous tension l'Occident ( « Pour l'OTAN, qui prépare un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement pour les 4 et 5 septembre 2014 au Pays de Galles, la crise ukrainienne impose un retour aux fondamentaux de la défense collective. » ) en ne le plaçant pas dans la posture de "l'agresseur" (rappel : les guerres de l'Occident sont toujours "défensives", pour éviter un génocide, ou pour rétablir la démocratie, ou pour garantir l'autodétermination d'un peuple, souvent les 3 ensemble car c'est plus facile à vendre aux gens dans les médias), ne correspond pas à la réalité des faits actuels. Nous préférons le concept de guerre tiède de Jean Gerenimo, définie « comme la forme actualisée et désidéologisée de la guerre froide, recentrée sur le contrôle des Etats stratégiques - "pivots" - sur les plans politique et énergétique et opposant, in fine, l'axe euro-atlantique UE-USA (via l'OTAN) à l'axe eurasien sino-russe (via l'Organisation de coopération de Shangaï, OSC) », bien que nous soyons dubitatifs sur la solidité de l'axe sino-russe.

 

(5) Le fait d'être un nouveau riche corrompu et une fripouille, comme sa rivale Iulia Timochenko, ne lui retire pas sa légitimité ; comme l'écrit Gilles Andréani, l'Ukraine a « une vie politique inefficace et corrompue jusqu'à l'extravagance »  (dans Commentaire n° 146, été 2014, page 287)

 

(6) Lire aussi le livre de Jean Geronimo titré La pensée stratégique russe , Sigest, mars 2012.  

 

(7) Dans son rapport rendu public le 29 juillet 2014, le procureur américain Clint Williamson confirme le trafic d'organes humains organisé par les dirigeants de l'UCK.

            Du coup, le docker somalien Bernard Kouchner en poste au Kosovo pour l'Empire, qui a toujours nié ces faits criminels de l'UCK, devient définitivement une âme damnée.  

 

 

Enquête sur l'Etrangleur de Jean-Louis Ivani et Stéphane Troplain

Publié le par Alexandre Anizy

            Certains d'entre vous se souviennent peut-être d'un fait divers qui défraya la chronique en 1964 : l'affaire de l'Etrangleur. Elle commence avec le meurtre du petit Luc Taron, dont le corps est retrouvé au matin du 27 mai dans le bois de Verrières, puis l'entrée en scène de Lucien Léger.

 

            Dans Le voleur de crimes (éditions du ravin bleu, janvier 2012, 692 pages, 22 €), Jean-Louis Ivani et Stéphane Troplain racontent l'enquête policière, le déchaînement médiatique, l'instruction judiciaire. Comme la qualité de leur recherche et la minutie de leur analyse sont remarquables, ils révèlent les failles du dossier et en démontrent les incohérences.

            Tous les auteurs de polars devraient lire ce document.

 

            Pour notre part, nous retenons que le blocage intellectuel du juge d'instruction Jean-Claude Seligman et de l'avocat Maurice Garçon aboutira sur un fiasco judiciaire : la condamnation sans preuves et sans mobile de Lucien Léger, qui deviendra le plus vieux détenu de France.

 

            Grâce au travail de Troplain et Ivani, vous avez un aperçu de la fabrication d'un coupable. Mais pas seulement, car Léger a mis son poids de sel dans cette énigme.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

La vie de Malvina Trifković de Mirko Kovač

Publié le par Alexandre Anizy

            La vie de Mirko Kovač dans la Yougoslavie titiste n'était pas tranquille : son premier roman Gubilište (1962) est censuré pour " image noire du monde " et il est tracassé par les autorités publiques. Lorsqu'il publia le recueil de nouvelles Rane Luke Meštrevića en 1971, il reçut le Prix Milovan Glišić qu'on lui retira en 1973 ! (1)  En 1971, il publiait aussi La vie de Malvina Trifković (édition française : Rivages, 1992 ; en poche décembre 1993, 101 pages, 39 FRF).

            En vidant notre bibliothèque le mois dernier, nous avons retrouvé Malvina, et le fait que nous n'ayons aucun souvenir de ce livre nous incita à le relire. Bonne pioche !

 

            Si la forme kaléidoscopique du roman n'est pas une nouveauté, le style sobre, allant parfois jusqu'à la sécheresse d'un rapport médico-légal, capte l'attention du lecteur parce qu'il dévoile l'ambivalence des êtres humains, avec la fausseté de leurs justifications et l'irrationalité de leurs convictions. Ainsi la serbe Malvina est chassée de la famille Parčić par un beau-frère croate aux motivations nauséabondes, qui nous fit penser à un psychiatre serbe n'ayant plus toutes ses facultés dans les horreurs de la récente guerre civile en Bosnie :

« Si notre père avait vécu plus longtemps, s'il n'avait eu à affronter cette période funeste de calomnies et tout ce dont ses adversaires l'ont suspecté, avec quelle force et quel esprit il aurait développé et analysé tout cela. J'ai agi avant tout pour l'honneur de la famille Parčić et pour que la Serbe ne puisse pas s'approprier un quelconque héritage, en biens meubles ou immeubles, ni même en argent liquide. » (p.36)

 

            Une des forces de ce livre est qu'aucun personnage ne sort indemne de l'autopsie du romancier. Ainsi Malvina, qui inspire la sympathie au premier abord, n'est pas exempte de turpitudes, comme les autres.

 

            C'est pourquoi il faut saluer la sagacité des censeurs de Tito, qui avaient parfaitement compris l'incompatibilité du monde noir selon Kovač avec la splendeur du paradis communiste dans son authentique version, la yougoslave évidemment.

            Pour cette raison, mais surtout pour la qualité intrinsèque de l'œuvre, découvrez La vie de Malvina Trifković de Mirko Kovač !

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) la nouvelle édition augmentée de 1980 obtiendra le Prix Ivo Andrić.

 

Au Kosovo, l'Allemagne achevait la Yougoslavie

Publié le par Alexandre Anizy

            Il nous faut parler du livre mal fichu et mal écrit de Jürgen Elsässer titré La République Fédérale Allemande (RFA) dans la guerre au Kosovo  (L'Harmattan, octobre 2002, en livrel à 16,50 € - trop cher !) (1), car son enquête journalistique apporte des informations pertinentes, dont nous livrons l'essentiel de la manière la plus simple.

 

 

Comment inventer une raison de guerre (sous-titre du chapitre 2)

 

            « Pour justifier les bombardements, le gouvernement allemand a essayé de présenter comme un objectif depuis longtemps fixé par Belgrade, l'expulsion systématique des Albanais du Kosovo. »

            « Afin d'étayer ces thèses, les événements ont été falsifiés dès 1998 dans leur présentation. (...) Que Fischer et Scharping aient diffusé une contrevérité en toute connaissance de cause ressort d'un document du ministère du même Fischer (...) titre : Analyse de situation du ministère des Affaires étrangères du 18 novembre 1998. »

            « Encore plus instructif est le rapport de la situation au Kosovo du ministère allemand des Affaires étrangères du 19 mars 1999, cinq jours avant le début de la guerre. Ce rapport fut classé très confidentiel à la différence de la source américaine citée, et ne fut publié que plus tard. On y lit : " Contrairement à l'année dernière, la population civile est, en règle générale, prévenue d'une attaque imminente de la part de la VJ (l'armée fédérale yougoslave). D'après la MKV (Mission de Vérification au Kosovo de l'OSCE), les commandants de l'UCK ont cependant sporadiquement mis un terme à l'évacuation de la population civile. D'après les observateurs du HCR, la VJ ne rase pas les villages contrairement à sa manière d'intervenir l'an passé, et retire rapidement ses troupes une fois l'action finie. »

[ Il faut notamment relever que les "libérateurs albanais de l'UCK" avaient donc délibérément opté pour le sacrifice des civils dans certains villages. AA ]

            Toujours dans ce rapport très confidentiel du 19 mars 1999 : « L'exode, les expulsions et les destructions au Kosovo concernent tous les groupes ethniques y vivant à part égale. Quelques 90 villages autrefois habités par les Serbes sont entretemps abandonnés. Des 14.000 Croates d'origine serbe, 7.000 vivent encore au Kosovo. »

            « Du début de leurs investigations le 26 novembre 1998 à leur retrait le 20 mars 1999, les vérificateurs de l'OSCE dressèrent le procès-verbal de toutes les violations des droits de l'homme au Kosovo, ville par ville, commune par commune. Il en ressort que 87 civils kosovars albanais furent tués par les forces de sécurité serbes, 54 sont à mettre sur le compte de l'UCK, 87 autres homicides ne sont pas éclaircis dont 33 sont des Serbes ou des Albanais loyaux : ce ne furent guère des Serbes qui les assassinèrent. En additionnant ces 33 cas aux 54 victimes de l'UCK, on arrive comme pour les Serbes à 87 assassinats commis par l'UCK. »

 

 

 

Les protocoles d'autopsies démentent la version de l'OTAN d'un massacre commis par les Serbes (sous-titre du chapitre 3 : le silence de Mme Ranta)

 

            Il s'agit du "massacre de Račak", dont le ministre allemand Joschka Fischer dit qu'il fut « un tournant », que sa collègue américaine Madeleine Albright vit comme « un événement galvanisant », dont le Washington Post écrivit qu'il aurait « changé la politique de l'Occident dans les Balkans comme rarement un événement isolé l'a fait », ce que l'abject William Walker (2), chef de la mission de l'OSCE au Kosovo à l'époque, confirma en disant que « L'épisode de Račak fut naturellement décisif pour les bombardements ».

« Le communiqué judiciaire provisoire rendu publique le 17 mars [1999] ne compte que cinq pages - le vrai rapport, pesant 21 kilos d'après le Berliner Zeitung fut mis sous séquestre par le président du Conseil de l'Union Européenne de l'époque, Joschka Fischer. Plus d'un an après, la stratégie du secret a échoué : outre le Berliner Zeitung, Konkret est entretemps entré en possession des copies de tous les 40 protocoles d'autopsies individuelles des cadavres de Račak. (...) Après exploitation des documents, les choses sont claires :

il n'y eut pas eu d'exécutions,

il n'y eut pas de mutilations,

il n'y eut pas de coups de feu tirés à bout portant.

Dès à présent, il doit être également tenu pour non prouvé que les morts étaient des civils et que tous furent tués à Račak. Ainsi l'affirmation d'un "massacre" n'a plus de base. »

 

            « De toute évidence, la commission de médecins finlandais [sous l'autorité de Mme Ranta. AA] a toléré que des faits essentiels du protocole d'autopsie n'apparaissent pas du tout ou bien sous une lumière tout autre dans le bref communiqué du 17 mars 1999. »

[ Nous espérons que Mme Ranta connut par la suite une "brillante" carrière professionnelle. AA ]

 

 

 

Les magouilles de Rambouillet (Que s'y est-il passé ? Chapitre 4)

 

            A la une du Tageszeitung (Taz) du 12 avril 1999 : « Le mensonge de Rambouillet : que savait Joschka Fischer ? » Réponse étonnante de Fischer : « Je trouve fâcheux qu'on puisse s'imaginer que j'aurais magouillé afin d'engager l'OTAN dans une guerre contre Milosevic. »

Le 6 avril 1999, le Taz avait publié l'annexe B des Accords de Rambouillet, tenue secrète par les pays de l'OTAN qui exigeait de Milosevic qu'il accepte une "force de maintien de la paix de l'OTAN de 30.000 hommes, ayant accès à tout le territoire yougoslave (la RFY) y compris l'espace aérien et les eaux maritimes". Comme le formula le député allemand Hermann Scheer, cette annexe B est un véritable « statut d'occupation de toute la Yougoslavie par l'OTAN. Même un politicien modéré à la place de Milosevic n'aurait jamais signé ce texte ».

Cette annexe B, présentée comme un ultimatum aux Serbes, arrive sur la table de négociation malgré le veto de la Russie (organisateur de la conférence à droits égaux) seulement 18 heures avant la fin des négociations.

Après la clôture, le gouvernement américain eut des hésitations : une dernière mission de leur négociateur Richard Holbrooke fut entreprise « contre la volonté allemande, car Fischer s'était prononcé juste avant contre un prolongement de l'ultimatum adressé à Belgrade, même s'il était question de seulement "trois à quatre jours".

Grâce à Jürgen Elsässer, on apprend que l'émissaire allemand Wolfgang Petritsch joua un rôle important en proposant la participation de l'UCK de Hashim Thaci aux pourparlers sur un plan d'égalité avec Ibrahim Rugova, le président élu des Albanais du Kosovo, tous les deux acceptant de signer unilatéralement le texte final de l'ultimatum, expression de la volonté de fer  de l'Allemagne ... et des Etats-Unis.

 

Comment Fischer et Scharping inventèrent une campagne serbe d'expulsion (l'opération Fer à cheval)

 

            Dans ce chapitre apparaît les services secrets allemands (BND), mais aussi autrichiens (HNA) avec notamment Helmut Stubner, fonctionnaire cadre du parti d'extrême-droite FPO de Haider.

            « Même si les détails manquent encore de clarté, c'est un fait : les Bulgares ont fourni tout au plus du "matériel analytique non structuré" ; celui-ci fut complété par le HNA avec des "rapports de position hebdomadaires", incluant entre autres des données des écoutes. Au printemps 1999, le ministre autrichien des Affaires étrangères transmit ce recueil aux de l'Union Européenne, éventuellement aussi aux Etats-Unis. Après les premiers jours de bombardements sur la Yougoslavie, le gouvernement allemand décida, sans être suivi en cela par ses partenaires de l'UE et la CIA, de fabriquer un plan à partir de ces éléments fragmentaires, et de s'en servir pour mener l'attaque. »  Pourquoi cette attaque médiatique ? Parce que les sondages montraient la montée du "non aux bombardements" dans l'opinion allemande.

 

Vous découvrirez d'autres agissements peu reluisants de Fischer et Scharping : ils n'ont rien à envier aux mensonges américains ou d'un Tony Blair pour la guerre d'Irak.

 

 

 

            Il ressort du livre de Jürgen Elsässer que, là encore, l'Allemagne n'était pas du tout un sleeping partner dans le processus qui aboutit à la guerre du Kosovo. Force est de constater que l'éclatement de la Yougoslavie, cette créature issue de la défaite de 1918 par les traités de Saint-Germain et de Trianon, était un objectif à long terme de l'Allemagne.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Last but not least, sur notre liseuse, le rendu du fichier est une horreur !

 

(2) Dans le livre de Pierre Péan titré Kosovo, une guerre "juste" pour un Etat mafieux (Fayard, 2013, en livrel à 16,99 € - trop cher !), on a un aperçu du comportement moral du sinistre individu Walker :

            « (...) Washington soutenait dans son arrière-cour les dictateurs latino-américains dans leurs œuvres criminelles, au nom de la doctrine du "nécessaire" endiguement du péril "communiste" -, Walker était précisément en charge, au sein du Département d'Etat, des relations avec l'Amérique Latine. En 1988, en récompense, probablement, de ses bons et loyaux services, il a été nommé ambassadeur des Etats-Unis au Salvador, où des escadrons de la mort, dirigés par des militaires formés par les Américains, faisaient régner la terreur. Son nom a été lié à un épisode particulièrement affreux : peu de temps après sa nomination, 6 prêtres jésuites que le gouvernement salvadorien soupçonnait de sympathies communistes ont été assassinés dans la nuit du 15 au 16 novembre 1989 par des hommes du sinistre bataillon paramilitaire Atlacatl, initiés à la "contre-insurrection" par des cadres de l'armée américaine (et déjà responsables, en décembre 1981, du massacre d'El Mozote, où ils avaient assassiné plusieurs centaines de civils). La cuisinière des 6 jésuites et sa fille ont également été exécutées. Walker a aussitôt supervisé « les entreprises d'intimidation déployées à l'encontre du principal témoin » (...) » ;

            « C'est donc un "expert en enquêtes sur les crimes d'Etat" assez particulier qui découvre et dénonce, le 16 janvier 1999, le massacre de Račak (...) » ;

            Walker est « un symbole de la destruction de la vie » pour le vicaire panaméen Fernando Guardia.