La mondialisation selon Pierre-Noël GIRAUD (I)
Né en 1949, Pierre-Noël Giraud est un ingénieur économiste français (diplômé de l'École polytechnique, de l'École des Mines de Paris - Ingénieur Général des Mines -, etc.), ce qui n’a rien d’original dans le gotha français des sciences économiques. Dans son livre « la mondialisation. Emergences et Fragmentations » (Sciences Humaines éditions, 4ème trimestre 2008, 158 pages, 10 €), il présente de manière concise une analyse des effets de la mondialisation sur les inégalités, avec les concepts qu’il a déjà exposés dans ses 2 livres précédents, à savoir notamment : les territoires, les acteurs capitalistes nomades et les sédentaires, les individus compétitifs et les protégés.
Il répond en argumentant à 2 questions : fin du cycle libéral, changement de capitalismes ?
La mondialisation actuelle n’est pas la première, mais elle se caractérise par « la combinaison de 3 globalisations : globalisation des firmes, de la finance et globalisation numérique » (p.8). A cette combinaison, il faut ajouter la généralisation des compétitions : « mise en compétition généralisée de l’ensemble des territoires et des sédentaires qui les habitent par les firmes globales, des acteurs nomades par excellence ; mise en compétition généralisée des firmes globales par les investisseurs institutionnels de la finance globale de marché. ». (p.8)
Dans le 1er chapitre, en un peu moins de 20 pages denses mais non rébarbatives, P-N. GIRAUD parvient à esquisser une histoire de la mondialisation, en commençant par se référer aux « économies mondes » du XVI au XVIIIème siècle de Fernand BRAUDEL (Europe, Russie, Inde, Insulinde, Chine, monde islamique). En Europe, à Amsterdam, Bruges, Gênes, Lyon, Venise, le niveau de vie est à peu près le même, et ce sont les mêmes acteurs économiques (les nomades de GIRAUD) qui dominent « une énorme masse de sédentaires englués dans ce que BRAUDEL appelle la civilisation matérielle, autrement dit l’économie de proximité ». (p.12)
En 1820, alors que la Révolution industrielle en est à ses débuts (pour ceux que la question intéresse, citons ce livre de référence : Paul MANTOUX, « la Révolution industrielle au XVIIIème siècle », éditions GENIN 1973, 577 pages, 94 FRF), le ratio du revenu par habitant du pays le plus riche (la Grande-Bretagne) à celui du plus pauvre (l’Afrique) est de 3,5. En 1910, le ratio passe à 7,2, et en 1992 à 17. Du point de vue économique, le mot fragmentation convient bien pour décrire les 2 derniers siècles.
« Tout changement important de politique économique est toujours précédé d’une victoire dans le champ intellectuel de ceux qui le promeuvent. » (p.17)
Fort de cette observation pertinente, GIRAUD nous fait un 1er récit de la mondialisation, qu’il titre « ascension, chute et victoire finale du libéralisme », en débutant au moment de la victoire intellectuelle de David RICARDO en 1817 (date de publication de son livre majeur, « Des principes de l’économie politique et de l’impôt », qui démontre les avantages du libre échange), puis un 2ème récit, qu’il titre « où l’on voit intervenir des nations et des classes », où il précise que si RICARDO préconise le libre échange, « c’est pour que l’Angleterre puisse se débarrasser de son agriculture à rendements décroissants et de sa classe de land lords parasitaires, pour se concentrer sur l’industrie capitaliste à rendements croissants, devenir ainsi « l’atelier du monde » (…) la puissance hégémonique. ». (p.21)
Dès 1830, l’économiste allemand Friedrich LIST a compris le processus et défend l’idée de l’union douanière pour protéger les industries naissantes en Allemagne. En 1880, l’Allemagne et les Etats-Unis « dénoncent les accords de libre échange qu’ils ont passé quelques années auparavant, relèvent leurs tarifs douaniers et développent leur industrie à l’abri de ces barrières protectionnistes. » (p.22)
La suite est à l’avenant.
Nous ne nous attarderons pas sur l’assaut idéologique mené par l’école de Chicago dans les années 1960-1970 (figure emblématique : Milton FRIEDMAN) contre l’interventionnisme étatique qu’on représente couramment par le keynésianisme, ni sur la présentation de ce que d’aucuns (notamment l’école de la régulation : Michel AGLIETTA, Robert BOYER, Alain LIPIETZ, etc.) ont appelé le fordisme, et que Pierre-Noël GIRAUD nomme « croissance social-démocrate autocentrée ».
Ce 1er chapitre habile est remarquable dans sa facture.
Alexandre ANIZY