Crise de la mondialisation (II) : avec Maurice Allais

Publié le par Alexandre Anizy

 

Maurice Allais est l'unique Français ayant reçu le Prix Nobel d'économie. Pourtant, les médias ne le consultent plus depuis belle lurette, comme d'ailleurs les dirigeants et institutions françaises. Il est vrai qu'il a l'outrecuidance de se définir comme « libéral et socialiste » et de briser des tabous indiscutés.

D'aucuns s'étonneront de nous voir associés à ce théoricien, mais en ce qui concerne l'analyse de la crise nous émettons le même diagnostic, et quant à la prescription, nous approuvons le premier remède.


« (…) le fondement réel de l'actuelle crise : l'organisation du commerce mondial, qu'il faut réformer profondément, et prioritairement à l'autre grande réforme également indispensable que sera celle du système bancaire. » (dans Marianne du 5 décembre 2009)

Pour Maurice Allais, le protectionnisme entre pays à salaires comparables n'est pas, en général, une bonne mesure.

« Par contre, le protectionnisme entre pays de niveaux de vie différents est non seulement justifié, mais absolument nécessaire. C'est en particulier le cas à propos de la Chine, avec laquelle il est fou d'avoir supprimé les protections douanières aux frontières. Mais c'est aussi vrai pour des pays plus proches, y compris au sein même de l'Europe. »


Que peut faire l'industriel français, par exemple du textile, pour maintenir sa part de marché et sa production locale, quand ses coûts de fabrication sont 5 ou 10 plus élevés ? Rien. Parce qu'il en a fait l'amère expérience (dépôt de bilan de la société Tissage de Picardie), nous doutons que Guillaume Sarkozy de Nagy Bocsa nous contredise sur ce point.

Face à la « méprise monumentale », « monstrueuse », du directeur général de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le social traître Pascal Lamy, qui souhaiterait que les discussions en cours (appelées le cycle de Doha) s'achèvent par un accord en 2010, parce qu'il considère que l'accroissement des échanges est un objectif en soi alors qu'ils ne sont qu'un moyen, Maurice Allais exprime avec humour sa profonde indignation en lâchant ce mot d'ordre : « il faut de toute urgence délocaliser Pascal Lamy », parce qu'il est un facteur majeur de chômage.


Le chômage actuel n'est que la conséquence d'une libéralisation irraisonnée du commerce : l'entrée libre de produits fabriqués dans des pays organisés avec un autre modèle économique, où les salaires sont 5 ou 10 fois moindres, incite les producteurs français à délocaliser leur production, ce qui occasionne la 1ère vague de chômage, pour tenter de conserver leur part de marché … qui s'effritera ou s'effondrera, ce qui en général aboutit à la disparition locale des producteurs, soit la 2ème vague de chômage.

« (…) ce terme de bulle me semble inapproprié pour décrire le chômage qui résulte des délocalisations. En effet, sa progression revêt un caractère permanent et régulier, depuis maintenant plus de trente ans. (…) un phénomène de fond. »


Maurice Allais propose depuis plus de 10 ans la création d'ensembles régionaux homogènes, qui auraient des niveaux de revenus et des conditions sociales relativement proches.

« Chacune de ces organisations régionales serait autorisée à se protéger de manière raisonnable contre les écarts de coûts de production assurant des avantages indus à certains pays concurrents, tout en maintenant simultanément en interne, au sein de sa zone, les conditions d'une saine et réelle concurrence entre ses membres associés. »

Seulement voilà, hier comme aujourd'hui, les grands dirigeants mondiaux ne veulent rien entendre, et « (…) préfèrent, quant à eux, tout ramener à la monnaie, or elle ne représente qu'une partie des causes du problème. » Mais ils ne sont pas les seuls évidemment.


Maurice Allais, qui est un expert internationalement reconnu sur les crises économiques de 1929 ou de 1987 (par exemple), n'a plus accès aux médias (Marianne ayant intelligemment commis une exception) : il est devenu un Prix Nobel téléspectateur alors que « les commentateurs économiques que je vois s'exprimer régulièrement à la télévision pour analyser les causes de l'actuelle crise sont fréquemment les mêmes qui y venaient auparavant pour analyser la bonne conjoncture avec une parfaite sérénité. Ils n'avaient pas annoncé l'arrivée de la crise, et ils ne proposent pour la plupart d'entre eux rien de sérieux pour en sortir. Mais on les invite encore. »

Et il analyse ainsi son ostracisation : « Cette ignorance et surtout la volonté de la cacher grâce à certains médias dénotent un pourrissement du débat et de l'intelligence, par le fait d'intérêts particuliers souvent liés à l'argent. (…) Ceux qui détiennent ce pouvoir de décision [donner le droit de parler en tant qu'expert, ndAA] nous laissent le choix entre écouter des ignorants ou des trompeurs. »



Contrairement à Maurice Allais, l'économiste absurde Daniel Cohen n'a jamais condamné la démarche et l'objectif de l'OMC ; il n'a pas prédit la crise de 2007, et bien qu'il l'ait beaucoup commentée dans les médias, il ne propose que des mesurettes d'ajustement ou bien il évoque une révolution anthropologique … En admettant qu'il soit sérieux, on peut douter de l'efficacité ou de l'adaptabilité des réponses.

Pauvres économistes enfermés dans leur Cercle ou leur Conseil !

Si seulement ils avaient la vigueur intellectuelle et le courage d'un jeune Maurice Allais !



Alexandre Anizy