Dettes publiques : l'Allemagne ne paie pas

Publié le par Alexandre Anizy

 

Au jour d'aujourd'hui, l'Allemagne dominatrice donne des leçons de rigueur financière à ses clients européens, impose son point de vue qui ne touche pas aux intérêts de ses banques. En prime, elle sert un discours dégoulinant de morale : est-elle bien placée pour le faire ?

 

En 1921, la Commission des réparations de guerre (1914-1918) estime le coût des destructions en France à 34 Milliards de francs-or :

Biens privés :

Industries et Mines …........................................ 6.825

Agriculture, Forêt, Chasse et Pêche ….................. 8.806

Propriété bâtie ….............................................. 7.262

Propriété mobilière …........................................ 5.216

Bâteaux et matériels des voies navigables …........ 28

Total …........................................... 28.137

Biens publics …................................................ 2.195

Dommages spéciaux …..................................... 695

Dommages maritimes ….................................... 2.262

Algérie, colonies, étranger ….............................. 702

Total …........................................... 33.997

(source : « Histoire économique de la France entre les 2 guerres » d'Alfred Sauvy, éditions André Sauret, 1973, Tome 1, page 20)

 

A ces dommages subis, il faut ajouter d'autres pertes :

Usure du patrimoine …....................................... 10.000

Créances sur l'étranger …................................... 8.000

Réduction du stock d'or …................................... 3.000

Total Général …................................. 55.000

(source : idem)

 

A quoi correspond ce montant pharamineux de 55 Milliards de francs-or ?

« 55 milliards représentent environ 15 mois de Revenu National de 1913. Si l'on estime à 5 milliards les investissements annuels d'avant-guerre, c'est cet enrichissement pendant 11 ans qui a été perdu. » (A. Sauvy, ibid., page 23) [c'est nous qui soulignons]

 

Or ces dettes de guerre ne seront pas payées. C'est ce que montre Alfred Sauvy dans le 1er chapitre du tome 2.

Le montant total des dommages est fixée à 138 Milliards de marks-or, dont 126 dus par l'Allemagne (le reste par l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie), ce qui représentent environ 2,5 ans de Revenu National allemand d'avant-guerre.

« Comparons maintenant cette somme aux dommages français de l'occupation allemande 1940-1944 : en 4 ans seulement, ils s'élèveront à 1.287 milliards de francs 1938, soit près de 4 années de Revenu National 1938. » (p.15)

Le chiffre demandé aux Allemands en 1921 n'est donc pas si exorbitant : pendant 30 ans, 14 % de la production de richesse.

Il est bon de rappeler ici que de 1871 à 1875, la France quant à elle a payé à l'Allemagne 5 Milliards, soit 3 mois du Revenu National français.

Comme l'Allemagne ne respecte pas l'échéancier fixé, le plan Dawes va diminuer la dette. (accord du 14 janvier 1925)

Revenu au pouvoir en 1926, Poincaré accepte une nouvelle révision (ce sera le plan Young) qui réduira encore la créance de la France (de 17 % sur le plan Dawes).

« La valeur actuelle des annuités Young au 1er septembre 1929 est estimée à 40 Milliards de marks (dont la moitié environ pour la France). » (p.29) [c'est nous qui soulignons]

 

Or, quel est le bilan des réparations payées (de novembre 1918 au 30 juin 1931) ?

« La France a donc reçu 9.580 millions de marks-or sur un total de 22.981 millions pour l'ensemble des puissances alliées et associées. » (p.33)

Soit 41,69 % : force est de constater que la France n'a pas su défendre au mieux ses intérêts.

Après le 15 décembre 1932 (non paiement de l'échéance de la dette américaine), ce n'est plus qu'un lent effilochage du dernier plan en vigueur (dévaluation du dollar, des autres monnaies, suspension de l'amortissement, etc.).

Au final, le montant initial n'a donc jamais été payé par l'Allemagne.

 

 

Prenons un autre exemple : la Grèce, aujourd'hui.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce pays a subi une occupation par l'Allemagne, l'Italie et la Bulgarie. Ces 2 derniers pays ont payé les réparations décidées par plusieurs conférences internationales. L'Allemagne, non.

Cette dette allemande à l'égard de la Grèce est estimée en valeurs actualisées entre 80 et 160 Milliards d'euros, soit entre 29 et 59 % de l'ensemble de la dette publique grecque (270 Mds €, selon Eurostat)

Lorsque la question des réparations lui est posée, le gouvernement allemand répond (au Journal Officiel de la République Fédérale) :

« 65 ans après la fin de la guerre et après plusieurs décennies d'une coopération paisible, (…) la question des réparations a perdu sa légitimité (…) En outre, le versement de réparations plus de 60 ans après la fin des conflits armés serait un cas exceptionnel et sans précédent dans la pratique du droit international. »

Avec la Grèce, si l'on est cynique, on peut dire que l'Allemagne a perfectionné sa méthode : ne rien payer pendant des décennies, puis décréter l'illégitimité d'une dette tout en faisant observer qu'une éventuelle réactivation serait contraire à la jurisprudence du droit international.

 

 

D'un point de vue historique, force est de constater que l'Allemagne, le pays qui veut saigner les pays débiteurs européens comme la Grèce, connaît très bien le phénomène du non paiement des dettes : un de ses comportements ataviques.

 

 

Alexandre Anizy