Guerre en Ukraine comme au Kosovo ?

Publié le par Alexandre Anizy

            Contrairement à la parole de Bush à Gorbatchev, les Etats-Unis ont bien tiré avantage de la situation en 1990, notamment en laissant l'Allemagne, tant que sa politique étrangère fondée sur le multilatéralisme (1) ne s'oppose pas à la stratégie américaine d'encerclement, contribuée à l'éclatement de la Yougoslavie par ses liaisons secrètes et paramilitaires, par sa diplomatie partisane (2). Ce foyer de guerre n'était pas encore éteint en septembre 1994 que l'Allemagne exprimait clairement sa vision continentale dans le document Schäuble - Lamers (2 responsables politiques du CDU de Helmut Kohl) en posant l'élargissement à l'Est ( une sorte de Neue Ausdehnung ostwärts ) comme une priorité de l'Union Allemande (UE). Comme par hasard, en 1994 la CIA pronostiquait un éclatement de l'Ukraine sur le modèle de la Yougoslavie.

 

            Si en 2008 l'Allemagne (et la France) bloquait le processus d'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine, appliquant ainsi le principe multilatéraliste, elle ne le fit pas en 2013 lorsque l'Union allemande (UE) l'inscrit entre les lignes de l'accord d'association et de libre-échange... Or comme Gilles Andréani, nous pensons qu' « autrement lourd de conséquences a été l'élargissement de l'OTAN, qu'il était totalement déraisonnable d'envisager sérieusement pour des pays aussi proches à tous points de vue de la Russie que l'Ukraine et la Géorgie ». (dans Commentaire n° 146, été 2014, page 288) Mais le pouvoir russe étant considéré comme une "menace majeure" puisqu'il exprimerait une volonté de "reconquête impériale" selon le stratège américain Brzezinski (d'origine polonaise), il serait naïf de croire à l'arrêt de l'encerclement de la Russie, une entreprise commencée dès 1990. Pourquoi ? Dans son livre La revanche de la géographie  (3), Robert D. Kaplan donne une réponse en nous rappelant la thèse de Mackinder (de 1919) :

« Le nouveau Heartland correspond donc plus ou moins à ce que deviendrait l'Empire soviétique à son apogée lors de la guerre froide. Ou plutôt devrais-je dire : l'Empire soviétique plus la Norvège, le nord de la Turquie, l'Iran et l'ouest de la Chine. La plupart des Chinois vivant sur les côtes, sujettes à la mousson, le Heartland de Mackinder est une Eurasie centrale qui exclut les zones fortement peuplées de la Chine, de l'Inde et de l'Europe de l'Ouest. »  

En Ukraine, l'Empire américain est une puissance maritime qui poursuit son travail d'encerclement du Heartland  par le biais des Européens otanesques, tandis qu'il se prépare à un choc en mer de Chine.

            Il faut être un atlantiste zélé qui a perdu la rigueur intellectuelle comme Camille Grand pour tenir un raisonnement spécieux visant à démontrer que la Russie est "l'agresseur" dans la crise ukrainienne ; mais comme ce propagandiste de l'Occident ( défini comme « un ensemble géographique et un groupe de pays partageant valeurs et intérêts, est uni pourra préserver une certaine vision des relations internationales et de l'ordre européen pendant la paix froide (4) qui s'annonce » ) penche décidément trop pour l'Empire américain, il finit par se contredire en avouant la finalité réelle de l'accord d'association et de libre échange entre l'Union allemande (UE) et l'Ukraine :

« L'Union européenne avait feint de croire, ou s'était persuadée, que l'accord d'association avec l'Ukraine n'était qu'un accord technique et commercial repoussant à long terme la perspective d'adhésion, alors qu'il s'agit bien d'un choix stratégique perçu comme tel à Kiev et à Moscou. » (dans Commentaire n° 146, été 2014, page 296)

 

            En invoquant l'autonomie et la volonté des manifestants de la place Maïdan mais en s'appuyant sur les nationalistes d'extrême-droite "Secteur droit", qui revendiquent l'héritage du collaborateur ukrainien Bandera de 1941, l'Union allemande (UE) mit le président ukrainien Ianoukovitch démocratiquement élu dans l'obligation de se démettre (5), et elle veilla à l'installation de Porochenko, un autre oligarque compromis qui a le bon goût d'avoir choisi depuis longtemps l'ultralibéralisme et le camp de l'OTAN. Il ne faut pas être dupes de la manœuvre Maïdan : « Un air de "déjà vu", dans la logique des révolutions néolibérales - dites de couleur - ayant frappé l'espace postsoviétique dans la décennie 2000, sous l'impulsion d'ONG à financement anglo-saxon, d'opposants et de relais locaux, sponsorisés par la manne dollarisée des "droits de l'homme". » ( Jean Geronimo, Humanité du 6 août 2014 ) (6)

            Alors la question se pose aujourd'hui : ayant favorisé l'arrivée de Porochenko au pouvoir et compte tenu de la guerre totale qu'il mène contre les Ukrainiens du Donbass, l'Union allemande laissera-t-elle Kiev oppresser la minorité russe après sa probable victoire militaire, comme elle a abandonné la minorité serbe aux mains des criminels de l'UCK ? (7) 

 

            Force est de constater que la pax americana est devenue inordinatio americana.

 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

 

(1) Selon Pascal Boniface, une nouvelle forme de puissance qui repose « sur une capacité à jouer sur une toile de fond multilatérale et à s'adapter continuellement à la nouvelle géométrie mondiale », cité par Georges Valance, La revanche de l'Allemagne, éditions Perrin, octobre 1999, page 264.

 

(2) lire nos billets sur ce thème, notamment :

http://www.alexandreanizy.com/article-l-europe-est-morte-a-pristina-en-1999-selon-jacques-hogard-123950760.html

http://www.alexandreanizy.com/article-au-kosovo-l-allemagne-achevait-la-yougoslavie-124277964.html

 

(3) Robert D. Kaplan, La revanche de la géographie, éditions du Toucan, 2014 : chapitre 4 - l'Eurasie est au cœur de toutes les luttes.

 

(4) Le concept de paix froide que reprend à son compte Camille Grand, et qui veut mettre sous tension l'Occident ( « Pour l'OTAN, qui prépare un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement pour les 4 et 5 septembre 2014 au Pays de Galles, la crise ukrainienne impose un retour aux fondamentaux de la défense collective. » ) en ne le plaçant pas dans la posture de "l'agresseur" (rappel : les guerres de l'Occident sont toujours "défensives", pour éviter un génocide, ou pour rétablir la démocratie, ou pour garantir l'autodétermination d'un peuple, souvent les 3 ensemble car c'est plus facile à vendre aux gens dans les médias), ne correspond pas à la réalité des faits actuels. Nous préférons le concept de guerre tiède de Jean Gerenimo, définie « comme la forme actualisée et désidéologisée de la guerre froide, recentrée sur le contrôle des Etats stratégiques - "pivots" - sur les plans politique et énergétique et opposant, in fine, l'axe euro-atlantique UE-USA (via l'OTAN) à l'axe eurasien sino-russe (via l'Organisation de coopération de Shangaï, OSC) », bien que nous soyons dubitatifs sur la solidité de l'axe sino-russe.

 

(5) Le fait d'être un nouveau riche corrompu et une fripouille, comme sa rivale Iulia Timochenko, ne lui retire pas sa légitimité ; comme l'écrit Gilles Andréani, l'Ukraine a « une vie politique inefficace et corrompue jusqu'à l'extravagance »  (dans Commentaire n° 146, été 2014, page 287)

 

(6) Lire aussi le livre de Jean Geronimo titré La pensée stratégique russe , Sigest, mars 2012.  

 

(7) Dans son rapport rendu public le 29 juillet 2014, le procureur américain Clint Williamson confirme le trafic d'organes humains organisé par les dirigeants de l'UCK.

            Du coup, le docker somalien Bernard Kouchner en poste au Kosovo pour l'Empire, qui a toujours nié ces faits criminels de l'UCK, devient définitivement une âme damnée.  

 

 

Publié dans Notes politiques

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