Préférence pour la liquidité des banques selon Edwin Le Héron (III)

Publié le par Alexandre Anizy

Suite des notes

http://www.alexandreanizy.com/article-la-preference-pour-la-liquidite-des-banques-selon-edwin-le-heron-i--40533959.html  

http://www.alexandreanizy.com/article-edwin-le-heron-la-ppl-des-banques-ii--40827957.html

 

Grâce à Nicholas Kaldor, Sidney Weintraub et Paul Davidson (apôtres d’une pensée monétaire anti-monétariste), la théorie postkeynésienne s’écarta peu à peu de l’idée que la monnaie est comme un actif financier : c’était le retour à une logique de flux, avec le « finance motive » de 1937 au centre du débat.

Edwin Le Héron cite le précurseur français Jacques Le Bourva qui « développa en 1959 et 1962 une conception de la monnaie endogène reprise indépendamment 20 ans plus tard par Nicholas Kaldor et Basil Moore sous le nom d’horizontalisme. » (p.101)

A partir de 1975, on assiste à une généralisation, voire un dépassement de l’économie monétaire de production par les postkeynésiens, qui s’intéressent aux problèmes de l’offre de monnaie, du taux d’intérêt et du comportement bancaire.

Quatre tendances keynésiennes se dessinent.

 

  1. La vision traditionnelle

Au départ, une banque unique qui peut créer librement de la monnaie de crédit ; ensuite, la politique monétaire impose des limites, la banque centrale peut déterminer la quantité de monnaie. L’offre de monnaie reste exogène. 

 

  1. Théorie de Tobin des choix de portefeuille appliquée aux banques commerciales concurrentielles

Face à une structure des dépôts incertaine, avec comme objectif la neutralité face au risque, les banques fixent le taux d’intérêt pour couvrir ces risques, en ajustant l’offre de crédit à la demande des agents non financiers. On a donc une structure de financement non neutre et une possible instabilité du secteur bancaire. L’offre de monnaie est ici endogène et le taux d’intérêt exogène mais pas unique.

 

  1. Les horizontalistes

Pour eux, les banques sont des intermédiaires entre la banque centrale qui fixe le prix de la monnaie, et les emprunteurs (demande pour les besoins industriels, commerciaux et financiers). Le pouvoir des banques commerciales est dans leur capacité à délivrer du pouvoir d’achat aux entrepreneurs, à déterminer les innovations financières. Ici, l’offre est endogène au taux d’intérêt courant considéré comme exogène et fixé par la banque centrale. L’offre est infiniment élastique : sa courbe est horizontale (s’opposant ainsi radicalement à la courbe d’offre verticale des monétaristes).

Plaisantons en disant qu’avec eux le motif de financement et la préférence pour la liquidité passent à la trappe.

 

Quatrième approche

(avec Kregel, Le Héron, Messori, Wray, Heise)

Pour eux, les banques de second rang peuvent imposer une contrainte monétaire, par des conditions de financement plus difficiles (comme des taux plus élevés, des garanties plus importantes, des horizons de financement plus courts) ou par un rationnement du financement.

« Elles sont productrices de monnaie face à une incertitude non probabilisable et influencent la croissance et l’emploi par leurs propres anticipations de la demande. Si l’offre ne peut être supérieure à la demande de monnaie, elle peut par contre être inférieure et donc la contraindre. » (ELH, p.104)

« Sous les influences de la banque centrale et de la demande effective des entreprises, l’offre de monnaie et le taux d’intérêt sont endogènes, mais déterminés principalement par le comportement bancaire. » (ELH, p.104)

 

 

Face aux problèmes théoriques de la Théorie générale, face aux perspectives soulevées par les articles de 1937, dans son article cité en rappel Edwin Le Héron abandonne l’idée d’une offre de monnaie exogène (ou constante à court terme), reformule la théorie de l’intérêt et vise à dépasser le concept d’ « autorités monétaires ».

« La solution que nous proposons est de généraliser la principe de la préférence pour la liquidité et de l’étendre notamment aux Banques pour la détermination du taux d’intérêt et du volume de financement, afin de comprendre un éventuel rationnement, cette « rareté désirée ». » (ELH, p.104)

 

Si les « horizontalistes » abandonnent ce principe, Edwin Le Héron le généralise, retrouvant ainsi, dit-il, certaines idées de Keynes du « Traité sur la monnaie ». Pour notre part, nous nous souvenons des temps déjà lointains où Edwin Le Héron rejetait le Keynes du Traité, et constatons avec satisfaction que son approche théorique s’est donc enrichie.

 

(A suivre)

 

Alexandre Anizy  

  

 

Rappel : « La préférence pour la liquidité des banques : une analyse postkeynésienne du comportement bancaire » est la contribution d’Edwin Le Héron au numéro des Cahiers lillois d’économie et de sociologie titré « Monnaie et taux d’intérêt en analyse keynésienne »  (L’Harmattan, septembre 2002, 182 pages, 16 €).