KOSOVO (II) : erreur fatale

Publié le par Alexandre Anizy

Pour une fois que le journaliste (mais aussi membre du Conseil de Surveillance de Libération) Bernard GUETTA sort de la vulgate européenne, nous le soulignons. Il commence ainsi son article paru dans « son journal » le 29 janvier et intitulé « Fatale erreur dans les Balkans » :

« Par bêtise, par lâcheté, l’Europe a programmé une crise imminente. Avec sa bénédiction, les Albanais du Kosovo s’apprêtent à proclamer leur indépendance. (…) mais un précédent va se créer, formidablement inquiétant et dangereux. Il le sera d’abord pour les Balkans, car, lorsque les puissances occidentales auront avalisé cette modification des frontières d’un Etat membre de l’ONU, c’est toutes celles de la région qui seront menacées. »

Il oublie néanmoins de préciser que 6 pays refusent de reconnaître un Etat du Kosovo : Espagne, Chypre, Grèce, Bulgarie, Roumanie et Slovaquie.

Il s’accorde avec Jean-Pierre CHEVèNEMENT (voir notre note du 18 février 2008) pour constater le danger de l’instabilité en Europe :

« Pourquoi les Albanais de Macédoine ne se sentiraient-ils pas encouragés à reprendre les armes pour sortir de ce pays où ils sont trop minoritaires à leur goût ? »

 

« (…) puisque les Balkans ont vocation à l’intégrer [l’Union Européenne, ndaa]. Non seulement l’Union se tire une balle dans le pied, mais elle se contredit elle-même, dans la plus totale incohérenceElle s’était attachée, durant toutes les guerres de Yougoslavie, à faire respecter les anciennes frontières intérieures de la Fédération, devenues frontières internationales. Elle s’était battue pour que soit maintenu le pluralisme ethnique des Etats nés de l’éclatement yougoslave. Elle en avait fait un absolu, une exigence morale si essentielle que c’est au nom de cet idéal qu’elle avait prolongé le conflit bosniaque par son refus d’une Grande Serbie et aujourd’hui … les Etats-Nations ? »

 

15 ans d’absolu, d’exigence morale, pour en arriver à cette « (…) stupéfiante légèreté dans ce tête-à-queue si porteur d’une renaissance des tensions (…) » : quelle pitié !

 
On notera au passage la grande souplesse de Bernard GUETTA : « La cohésion ethnique ? C’est alors par là qu’il aurait fallu commencer. Ce n’eût pas été si scandaleux, absolument pas (…) » Il serait temps que Bernard GUETTA arrête de penser absolument : des gens de peu en ont trop souffert.

 
Buvons le calice jusqu’à la lie : les Occidentaux ont manqué à leur parole donnée puisqu’ils s’étaient engagés à Dayton à ne pas rouvrir la question kosovare. Pourquoi ?

« Parce que l’Amérique considérait que l’indépendance du Kosovo était inéluctable, qu’elle l’encourageait (…). Inquiets, les Européens croyaient favoriser une négociation [en agitant le spectre de l’indépendance du Kosovo devant la Serbie, ndaa], mais ils n’ont réussi qu’à la rendre impossible car, dès lors que le Kosovo avait la certitude qu’il n’avait qu’à rejeter tout compromis avec Belgrade pour réaliser son rêve, sa route était tracée. Les Kosovars ont repoussé tout maintien d’un lien avec la Serbie. Ils ont tenu bon, gagné, et l’Europe a perdupar bêtise et lâcheté. »

Tout est dit : dès lors que les Etats-Unis affirmaient publiquement qu’ils reconnaîtraient un futur Etat du Kosovo si celui-ci était autoproclamé, il n’y avait plus d’objet de négociation.
 

Si l’Europe vient de commettre une fatale erreur dans les Balkans, comme l’écrit Bernard GUETTA, il serait bon enfin qu’elle s’interroge sur les raisons de ce « sabotage final » des Etats-Unis et sur leur ambition réelle sur le vieux continent ?

 

 
Pour comprendre ce fiasco européen au Kosovo, dont personne ne peut avec certitude en décrire toutes les conséquences, nous vous suggérons la lecture décapante du livre de Stanko CEROVIC « dans les griffes des humanistes » (éditions Climats 2001, 317 pages, 21,34 €).

Stanko CEROVIC : directeur de la rédaction serbo-croate de Radio France Internationale ; écrivain ; expert des affaires yougoslaves ; originaire du Monténégro ; opposant à MILOSEVIC.

Le chapitre 11 raconte les pourparlers de Rambouillet entre les Albanais de l’UCK et la Serbie. Nous vous laissons découvrir les détails, mais citons quelques points intéressants aujourd’hui.

« Il n’y eut pas de réels pourparlers et l’accord proposé par les Etats-Unis ne fut pas un compromis. (…) Dès Rambouillet, on avait foulé aux pieds toutes les règles de la diplomatie internationale appliquée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et de l’époque coloniale. » p. 118

« Les diplomates européens durent à Rambouillet assister à une parodie de pourparlers, cacher leur humiliation et accepter les bombardements qu’ils voulaient empêcher. » p. 119


« Les valets se retrouvent souvent dans une situation qui les obligent à endosser les erreurs de leur maître pour ne pas avoir à subir l’opprobre de s’être mis au service d’un mauvais patron. Je redoute que cela devienne un phénomène très fréquent dans la politique européenne des années à venir (…) » p.119

Cette phrase était prémonitoire. N’est-ce pas, Bernard GUETTA ?

 
Alexandre Anizy