La crise des années 30 est devant nous selon François LENGLET (II)
(Suite de notre note économique du 11 août 2008 portant le même titre)
« Dans les prochaines années, l’Europe sera écartelée entre la poursuite de son rêve d’unification et les forces centrifuges qui vont s’exprimer de plus en plus bruyamment. » (p.75, François LENGLET, « la crise des années 30 est devant nous », Perrin 2007, 236 pages, 17,50 €)
Dans cette affaire, LENGLET ne fait qu’annoncer une bataille qui a déjà commencé. Mais il met en lumière un phénomène.
« La belle idée européenne est un phénix. Elle réapparaît après chaque crise internationale et meurt juste avant la suivante. » (Idem, p.76)
Vers 1925, l’idée récente de l’autrichien COUDENHOVE-KALERGI revient sur le devant de la scène politique : les « Etats-Unis d’Europe » comporteraient un secteur sidérurgique commun, un marché unique, une union monétaire … vaste programme ! Aristide BRIAND l’adoptera après la signature du traité de Locarno, et présentera un projet d’union aux 27 nations européennes réunies dans la Société Des Nations (SDN) : « L’Allemagne s’enthousiasme, pourvu que l’union soit d’abord économique … » (Ibidem, p.81) De ce point de vue, l’Histoire se répètera.
1ère application de ce projet : le franc POINCARé. En juin 1928, le Président du Conseil Raymond POINCARé décide du retour à la convertibilité-or, au cinquième du franc germinal de 1913. Cette parité est empreinte d’une grande sagesse, fondée sur une analyse saine et pragmatique de l’état réelle de l’économie française à cette date.
En matière économique, la parité retenue pour le franc Poincaré est peut-être la mesure la plus intelligente prise par les hommes politiques dans cette période de l’entre-deux guerres. Car cette dévaluation de fait dégonfle l’énorme dette de l’Etat, qui retrouve ainsi des marges de manœuvre économique, au détriment des rentiers dont certains s’estiment « euthanasiés ».
Alfred SAUVY dans son « Histoire économique de la France entre les deux guerres » a souligné l’importance du franc Poincaré. (LENGLET le cite à plusieurs reprises)
En 1931, c’est la dévaluation de la livre-sterling (observons ici que les hommes politiques anglais influencés par les financiers de la City avaient fait le choix d’une parité irréaliste lors du retour à l’étalon-or de la livre dans les années 20) qui déclenche la crise économique en Europe, car la livre est la devise-clé de cette époque.
Le livre d’Alfred SAUVY explique relativement bien l’enchaînement des faits durant cette période, mais son jugement négatif sur le Front Populaire manque de recul : d’une part, il est issu d’un contexte familial connoté, puisque par exemple sa sœur Elisabeth SAUVY, plus connue sous le pseudonyme de Titaÿna, fut poursuivie pour collaboration en 1945 et mourut en exil ; d’autre part, il fut conseiller du gouvernement de Paul REYNAUD en 1938 – son admiration pour cet homme politique perce d’ailleurs à travers la matière et l’analyse sérieuse de son « Histoire économique de la France entre les deux guerres » .
Parce qu’il ne veut pas dévaluer et maintenir le bloc or, alors que ce fut une cascade de dévaluation après le choc anglais de 1931, Pierre LAVAL instaure une politique déflationniste en 1935 : « l’expérience désastreuse casse la croissance sans pour autant ralentir la fuite des capitaux. » (Ibid., p.88)
Devant l’hémorragie des capitaux, le gouvernement de Léon BLUM prend enfin la bonne décision en septembre 1936 : « la fin bienvenue du bloc-or libère l’économie française et déclenche une reprise. » (Ibid. p.89), que les lois sociales (congés payés et surtout la semaine de 40 heures) briseront (c’est la thèse rabâchée de SAUVY, que LENGLET reprend).
On connaît l’issue de ces 10 années de marasme économique.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la construction européenne reprendra, notamment grâce à Jean MONNET, dont la faute n’a pas échappé à la sagacité de Jean-Pierre CHEVèNEMENT (« la faute à M. MONNET », en poche).
« Le génie de Jacques DELORS était de mettre au service de la construction européenne l’énergie de la grande vague libérale qui déferlait alors. DELORS n’est pas un libéral, mais c’est un pragmatique, et il bâtit un compromis qui permettra un « accord d’arrière-pensées, selon les mots de la Dame de Fer, Margaret THATCHER. » (Ibid., p.94)
En effet, avec l’Acte unique, les Anglais ont leur zone de libre échange et les Allemands obtiennent la primauté de l’union économique selon le schéma de Jean MONNET. Cette construction reposait sur un pari : la convergence progressive des économies qui adoptaient la même monnaie. Or, l’Europe a plutôt l’effet pervers de l’euro : puisqu’il n’y a plus de dévaluation, la facture se paie par le déficit commercial, l’endettement, la croissance faible, le chômage.
Pour corriger cela, il faudrait accélérer l’intégration, c'est-à-dire terminer le marché unique. L’affaire n’est donc pas gagnée, et même pire : « Et il n’est pas du tout invraisemblable que ce soit la France qui prenne l’initiative de faire éclater l’union monétaire. » (Ibid., p.109) Ou bien l’Italie.
Car le vrai choix à effectuer, si LENGLET ne le formule pas dans ces termes, se trouve dans cette alternative : périr sous le diktat monétaire qui profite à l’Allemagne ou retrouver une marge de manœuvre pour mener la politique économique favorable au peuple.
Alexandre Anizy