François Lenglet a réussi sa guerre des empires - Chine vs Etats-Unis (VII)

Publié le par Alexandre Anizy

 

(Suite des notes précédentes portant le même titre)

Un autre champ de bataille est le cyberespace. Nous avons déjà donné les chiffres fournis par François Lenglet et qui attestent de la puissance chinoise en matière informatique. Mais concernant la guerre hors limites, l'auteur montre dans un court chapitre passionnant l'activité intense de la Chine sur ce terrain : 25 % des tentatives de piratage observées dans le monde proviennent de Chine.

D'après un rapport d'experts, l'empire du Milieu aurait 1000 petits génies capables de créer de nouveaux outils de piratage, et des centaines de milliers d'experts pour les utiliser. En 2009, un rapport de Northrop Grumman réalisé pour le Congrès a analysé les attaques chinoises et présenté la méthode patiente, méticuleuse, et savamment orchestrée. D'autres études sont rapidement exposées.

Avec sagesse, François Lenglet n'a pas accumulé les récits d'affaires connus. Sa démonstration n'en est que plus convaincante : la veille tous azimut, le maillage, les infiltrations, la rapidité des attaques, démontrent une direction de structures très mouvantes, qui sont plus ou moins rattachées à l'appareil d'État. Si la Chine possède une loi anti-pirate, elle s'est organisée pour « récupérer des technologies vitales pour le pays ou pour frapper ses ennemis. Dans les deux cas, l'armée joue un rôle-clé, et notamment son 3ème et 4ème départements, dévolus au contre-espionnage. » (p.185)

 

 

Un autre champ de bataille est l'or noir, puisque le moteur économique de la Chine nécessite un approvisionnement toujours croissant de pétrole, mais aussi de minerais, de produits agricoles. Au jour d'aujourd'hui, la phase d'expansion a déjà commencé : la Chine achète partout des actifs, notamment des infrastructures comme en Grèce. « On peut parier que les tentations protectionnistes vont se renforcer en Occident, et qu'elles vont se déplacer du champ commercial à celui des investissements. » (p.204)

François Lenglet n'a pas résisté au plaisir de citer (p.203) Edmond Théry qui écrivait déjà en 1901 : « Le péril jaune qui menace l'Europe peut donc se définir de la manière suivante : rupture violente de l'équilibre économique international sur lequel le régime social des grandes nations industrielles de l'Europe est actuellement établi, rupture provoquée par la brusque concurrence, anormale et illimitée, d'un immense pays nouveau. » (« le Péril jaune », Félix Juven éditeur, 1901)

A contre-courant de la pensée unique, François Lenglet pronostique une demande de règles et de protection, d'autant plus forte que « l'Occident va perdre, dans les années qui viennent, la maîtrise de la mondialisation au profit de la Chine ». (p.204)

 

 

Le dernier terrain de bataille est idéologique, et la Chine marque des points : « Ainsi la Banque Mondiale a-t-elle publié récemment une étude pour détailler ce en quoi les pays émergents devraient s'inspirer de la Chine … » (p.208) Le "Chinese dream" est en marche, et d'aucuns comme Joshua Cooper Ramo parle du "consensus de Pékin" !

En fait, résume François Lenglet, 2 thèses s'affrontent : la vision irénique de l'économiste italo-américain Arrighi (500 ans de paix mondiale grâce à l'Empire chinois !) contre la cynique du néoconservateur Robert Kagan (les démocraties doivent s'unir pour faire face ; la liberté face à la dictature). Il faut ajouter tous les naïfs qui espèrent un aménagement du régime politique chinois, ou bien comme Kagan qui rêve d'un Occident soudé.

Pour François Lenglet, la confrontation des modèles aura lieu aussi au sein même des sociétés occidentales.

 

 

François Lenglet conclut intelligemment son essai (scénarios Sun Tzu et Clausewitz), d'abord en rappelant que la guerre hors limites a commencé il y a plus de 10 ans, que nos sommes dans la phase de l'expansion économique de la Chine, que la bataille suprême de la monnaie mondiale arrivera avec la convertibilité du yuan (libéralisation totale avant 2020). Il souligne enfin que, si la première secousse de la crise fut en 2007 avec les "subprimes", la seconde en Europe en 2010 avec les dettes publiques, la troisième pourrait avoir lieu en Chine même en 2011 ou 2012, au plus tard en 2015. Mais, ayant évoqué les travaux Karen Rasler et William Thomson (un prolongement historique des études de Kondratiev), François Lenglet ne doute pas « que la relève des empires ne se produise finalement. La crise actuelle ne l'empêchera pas davantage que celle des années 1930 n'avait interdit l'ascension américaine (...) » (p.243)

 

 

Alexandre Anizy