François Lenglet a réussi sa guerre des empires - Chine vs Etats-Unis (VI)

Publié le par Alexandre Anizy

 

(Suite des notes précédentes portant le même titre)

Dans la première partie de son livre « la guerre des empires. Chine contre États-Unis » (Fayard, septembre 2010, 243 pages, 17 €), intitulée "la Chinamérique en cinq neuf", François Lenglet a décrit la montée en puissance de la Chine et l'évolution de son rapport avec les États-Unis. La théorie de la guerre hors limites ayant été exposée et confrontée à la réalité des faits, l'auteur analyse alors dans la deuxième partie titrée "champs de bataille" les combats que les 2 empires sont en train de se livrer et leurs issues possibles.

 

Le premier champ de bataille concernent bien entendu les monnaies. Plus précisément, nous disons qu'il s'agit de la guerre des changes (relire notre note http://www.alexandreanizy.com/article-la-guerre-des-changes-ici-et-maintenant-60157717.html ), alors que François Lenglet utilise l'expression triviale de "guerre des monnaies". « En 1994, alors que le pays [la Chine] connaît déjà une croissance à deux chiffres, il dévalue de plus de 50 %, portant le taux du yuan à 8,60 pour 1 dollar, puis 8,27, une valeur que la BCC maintiendra inchangée jusqu'en 2005 (...) » (p.128) Ce choix politique est la clé de la stratégie économique chinoise : la caste rouge refuse d'être le jouet des caprices moutonniers de la finance mondiale. On ne le lui reprochera pas.

Mais nous sommes plus convaincus par l'économiste Fan Gang (cité p.134) lorsqu'il explique que 30 % de la population active travaillant encore dans les champs, la priorité absolue des dirigeants chinois est la croissance de l'emploi pour ne pas avoir à affronter une horde de chômeurs miséreux.

Le 19 juin 2010, la Chine annonçait qu'elle abandonnait le lien fixe entre le yuan et le dollar. C'est une concession formelle, puisque la flexibilité peut être dans les 2 sens en cas de "choc externe" et de "nécessité d'une stabilité fondamentale". En clair, la Chine fera ce quelle veut pour le taux yuan / dollar.

 

La crise actuelle est l'enfant du monstre sino-américain. L'économiste Isaac Joshua a mis en évidence les mécanismes voisins entre l'émergence des États-Unis en 1929 et celle de la Chine en 2007 : sur-compétitivité, accumulation d'épargne au détriment de la puissance déclinante (aujourd'hui les États-Unis, naguère le Royaume-Uni).

Pour ne pas voir la valeur de ses réserves monétaires disparaître d'un coup de baguette américaine (si le dollar baisse, les réserves monétaires chinoises diminuent d'autant), la BCC pousse d'une part les DTS pour diversifier ses réserves, et d'autre part commence à internationaliser le yuan en l'imposant comme moyen de paiement dans des échanges avec la Malaisie, l'Argentine.

 

 

Le deuxième champ de bataille est la mer. Pour défendre la "mare nostrum" de leur empire, les Chinois ont commencé à construire une gigantesque base navale à Sanya (île Hainan) tout en occupant les îles Spratly voisines : il s'agit de contrôler la mer de Chine du Sud (« 80 % des approvisionnements de pétrole du pays passe par le détroit de Malacca en Indonésie, et remontent la côte vietnamienne pour passer au large des Spratly et Hainan avant de longer la côte orientale chinoise. » (p.152) La Chine a prévenu que toute ingérence étrangère dans cette zone sera jugée inamicale.

Pékin s'est bien sûr donné les moyens militaires de cette posture : depuis 2000, les dépenses d'armement ont considérablement augmenté (construction de 24 sous-marins supplémentaires dont 4 nucléaires, de 8 destroyers, 11 frégates, 40 navires d'attaque Houbei, 31 bateaux amphibies, des dizaines de chasseurs aériens, des missiles de toutes sortes, etc.). Un programme de porte-avions est en cours (première sortie attendue à partir de 2015). D'après une estimation sérieuse et une projection de la tendance passée, les crédits militaires chinois dépasseront ceux des Américains en 2020.

 

Dotée d'un équipement impressionnant, la Chine pouvait revoir ses ambitions navales à la hausse : « Notre stratégie navale change, nous passons de la défense côtière à la défense en haute mer. » (amiral Zhang Huachen, cité p.163) Et le montrer : « Le 10 avril 2010, 2 sous-marins et 8 destroyers ont été repérés près du Japon pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale. » (p.163) C'est donc toute l'Asie du Sud-Est qui est visée.

Historiquement, il n'est pas absurde de comparer la rapide montée en puissance économique et militaire de la Chine actuelle à celles de l'Allemagne et du Japon, et Robert Kagan en arrive à cette hypothèse : « Si l'Asie orientale d'aujourd'hui ressemble à l'Europe de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, alors Taïwan pourrait être le Sarajevo de la confrontation sino-américaine. » (p.170)

 

(à suivre)

 

Alexandre Anizy