Pour un Revenu de Base du Citoyen (RBC)

Publié le par Alexandre Anizy

L'hiver est là, et l'on revoit le cortège des gueux, des cabossés de la vie, des miséreux, qui viennent chercher leur pitance quotidienne dans les points de distribution des organisations de charité. Longtemps après la mort de Coluche, la situation n'a pas changé ; elle s'est même aggravée puisque le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté. C'est pourquoi dans un pays riche comme la France, chacun sent confusément qu'il y a quelque chose d'intolérable dans ce désordre social.  Pis que cela : chacun a connaissance de l'échec des mesures bien intentionnées que les gouvernements successifs ont empilées, devenant un labyrinthe complexe totalement inadapté à la population qu'elles prétendent secourir (1).

 

            Parce que l'indignation à périodes fixes et les discours compassionnels atteignent forcément leurs limites, le moment est venu de mettre un terme au capharnaüm administratif en instaurant la mesure élémentaire d'une common decency (2) : le Revenu de Base du Citoyen (RBC).

 

            Si en droit l'universalisme devrait être le but parce que, selon la jolie formule de l'écrivain portugais Miguel Torga, « l’universel c’est le local moins les murs », il ne peut pas en être de même en économie, puisque « l'étymologie nous apprend encore que le mot économie vient du grec et signifie : oïkou nomos , la loi de la maison. » (Philippe Simonnot, le sexe et l'économie, éditions JS Lattès, octobre 1985, page 17) (3). On sait que les économies ouvertes finissent toujours par souffrir des "courants d'air", ce que l'Union Allemande actuelle nous montre à nouveau.

            En conséquence, nous disons que le revenu de base du citoyen doit être inconditionné et domestique.

 

            Le principe d'inconditionnalité introduit d'une part la justice dans le système de redistribution, comme l'explique le philosophe Philippe Van Parijs : « Mais la justice consiste, plus profondément, à distribuer équitablement les dons très inégaux que nous devons à l'interaction fortuite entre nos talents, notre origine familiale, le quartier et le pays où nous avons grandi et de multiples autres circonstances de la vie. Un modeste revenu inconditionnel constitue simplement une manière efficace de distribuer équitablement une part de ces dons. » (4) D'autre part, si nous considérons tous qu'un citoyen de 18 ans est apte à décider de l'organisation et du devenir d'une patrie, alors il convient de lui donner les moyens matériels de son autonomie pour en faire un individu libre et responsable tout au long de sa vie.

            Le principe de domesticité implique que seuls les membres de l'Etat souverain pourront bénéficier du revenu de base du citoyen dans le périmètre de la collectivité : dans la maison commune, ils sont à la fois détenteurs de droits et d'obligations (5). Les autres résidents ne perdront rien de leurs droits et avantages acquis à ce jour. Le RBC est une mesure visant à l'amélioration du bien-être collectif, parce que « (...) la dispersion et la distribution des richesses en déterminent la reproduction et que la multiplication des "fruits" est indissociable de leur consommation totale. » (Giacomo Todeschini, Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, p.94) (6)

 

            En bon père de famille, l'économiste doit veiller à l'équilibre général des valeurs macroéconomiques pour assurer le bouclage du circuit. C'est pourquoi le revenu de base du citoyen est au moins la contrepartie monétaire globale de toutes les formes de solidarité existantes. C'est à cette condition que le RBC peut devenir le moyen d'une amélioration du bien-être collectif.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) Nous pensons évidemment au RSA, qui est un échec patent puisqu'une partie de la population visée par cet outil ne le demande pas ; mais son promoteur, Martin Hirsch le serf de l'humanitaire, a pu satisfaire son appétit de pouvoir et de notoriété par cette action ostentatoire (une forme perverse des dépenses ostentatoires de Thorstein Veblen - Théorie de la classe de loisir), comme son mentor, le docker somalien Bernard Kouchner, lui a appris.

 

(2) Dans Impasse Adam Smith, le philosophe Jean-Claude Michéa donne les traits essentiels du concept d'Orwell, notamment : « il s'agit avant tout d'un sentiment intuitif (Orwell dit parfois émotionnel) "des choses qui ne doivent pas se faire", non seulement si l'on veut rester digne de sa propre humanité (...), mais plus simplement, et peut-être surtout, si l'on cherche à maintenir les conditions d'une existence quotidienne véritablement commune. » (éditions Champs Flammarion, février 2006, p.94)

 

(3) Dans ce livre réjouissant, on apprend que « Les Grecs employaient le même mot pour dire sperme et capital : ousia. » (p.16), mais aussi qu' « Au vu de ces chiffres, on voit bien qu'à la dot traditionnelle en capital s'est substituée une dot scolaire qui peut représenter de très importants sacrifices financiers (...) » (p.240) [ndAA : ce qui permet l'autoreproduction des élites observée par Pierre Bourdieu dans Les héritiers]

 

(4) Philosophe et économiste belge. Article paru dans le Monde du 14 décembre 2013. En qualifiant de "modeste" le revenu inconditionnel dont il parle, Philippe Van  Parijs montre la limite de son concept charitable.

 

(5) Par exemple, le problème de la diversité sociale des représentants du peuple et la question du statut de l'élu trouvent en partie une solution avec l'établissement du revenu de base du citoyen.

 

(6) éditions Verdier poche, septembre 2008, 13,80 €.