Lire et promouvoir le Joseph de Marie-Hélène Lafon

Publié le par Alexandre Anizy

            Sans tarder et pour deux raisons, il faut lire et promouvoir Joseph de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel, août 2014, en livrel à 8,99 € - un prix raisonnable) : d'abord, pour ceux de la ville, connaître le monde agricole à travers la vie d'un élément de base (Joseph, le commis de ferme), et qu'il ne doute pas de la véracité du tableau général ; puis découvrir un auteur qui mérite mieux que les recensions ordinaires du milieu littéraire parce qu'il apporte un style singulier, i.e. une vision, quand tant d'autres vont piocher dans la vie de personnages célèbres le talent qui leur fait cruellement défaut.

            Marie-Hélène Lafon, c'est du costaud, et son Joseph peut s'apprécier comme une extension particulière de l'essai de Christophe Guilluy (La France périphérique).

 

            Nous avons du mérite à encenser cet écrivain, compte tenu de notre prévention à l'égard du point-virgule qui règne dans le texte, taillant dans les phrases pour suggérer une vie à la découpe.

            « La voiture était la Peugeot du père qui tenait encore le coup ; après ses cuites Joseph la nettoyait, surtout pour les odeurs. Il était très maigre, ses mains tremblaient, il n'envisageait pas les gens ; et quand on réussissait à attraper son regard qui vous traversait sans vous voir, on ne soutenait pas longtemps ce vertige. » (p.54-55/68) 

Mais l'usage intensif du point-virgule parvient à le sublimer, lui conférant l'importance d'un pivot : le monde comme un enchevêtrement de murets, bloquant les élans. 

 

Cette vision, Marie-Hélène Lafon l'avait dès le commencement :

            « J'espère pour elles de la douceur ; je l'espère ; je ne la suppose pas ; il n'y a pas d'indices. Parfois, le petit miracle d'une robe choisie advient. La peau parle. Celles-là, je les surprends, furtives, aux détours d'un été. Il est court, ici, l'été. Mon regard les sait ; mais je ne peux pas. Je ne peux rien vouloir. » Le Soir du chien, prix Renaudot des lycéens 2001.

Dans ce premier roman, on trouve aussi :

            « Il m'a parlé comme ça mon frère ; il revenait du service. C'était plus un gamin. Moi je l'ai pas fait le service, j'ai été déclaré soutien de famille. Je lui ai répondu. Il a toujours été plus malin que moi. La mère le disait : il est plus vif, il a toujours le dernier mot. Elle était de son côté. »

Un même sort : exemption pour cause de soutien familial. Mais pas que ça.

 

            C'est ainsi que Marie-Hélène Lafon construit patiemment un chef d'œuvre : il n'est pas nécessaire d'attendre son achèvement pour en faire votre Compagnon, puisque le tout est dans chaque partie.

 

 

Alexandre Anizy

Publié dans Notes culturelles

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