Zone euro : le fol jusqu'au-boutisme d'un Michel Aglietta

Publié le par Alexandre Anizy

Tous les ans et même parfois avant, Michel Aglietta, le pape de l'école de la régulation, livre un pensum où il rabâche ses recommandations économiques à partir de son analyse incomplète et erronée. On peut dire qu'il résume bien la doxa eurocratique. En 2013, c'est avec un old deal pour l'€urope où il cornaque un Thomas Brand ; mais comme ce n'est qu'une espèce de resucée du précédent, Zone euro éclatement ou fédéralisme (Michalon, 2012, 188 pages, 15 €), nous en resterons à celui-ci.

 

Disons pour commencer que le livre est une promesse non tenue (avec les européistes, c'est une habitude), puisque l'auteur n'expose pas dans une ampleur satisfaisante l'hypothèse d'un éclatement de la zone euro : il suffit de parcourir le sommaire pour s'en convaincre. Nous irons donc directement à l'objet de notre billet : les incohérences et l'omission de l'auteur.

 

 

2 mensonges en 2 phrases :

« L'euro porte une promesse de souveraineté qui a été dévoyée jusqu'ici. Cette aporie dramatique de l'union monétaire était sournoise. » (p.42)

Où le spécialiste des monnaies, coauteur d'un ouvrage remarquable titré La violence de la monnaie, a-t-il vu dans les textes fondateurs que l'euro est une promesse de souveraineté ? On ne le saura pas. Qui aurait dévoyée cette promesse ? On ne le saura pas non plus. Car dès la création de l'euro, l'expert Aglietta savait que :

« Toute la construction monétaire européenne repose sur une conception étroite et erronée de la monnaie, appelée monétarisme. Selon cette conception, la monnaie est neutre vis-à-vis des phénomènes économiques réels. » (p.43),

parce qu'il voyait, à moins d'être un imbécile aveugle, que :

« (…) le traité de Maastricht a conféré à la BCE un statut véritablement extraordinaire. Contrairement à toutes les BC du monde, sa légitimité n'est fondée sur aucune souveraineté politique. Elle est véritablement déterritorialisée. Elle ne doit même pas dialoguer avec les gouvernements ! » (p.44)

L'euro, monnaie unique (et non pas commune), est le fruit mûrement réfléchi (et défendu par des économistes réputés comme... Michel Aglietta) d'un compromis entre la France et l'Allemagne, dans lequel justement la souveraineté est sciemment écartée ! Dans ces conditions, comment l'apôtre de l'euro de Maastricht peut-il écrire que c'est « une monnaie incomplète », puisque les créateurs ont volontairement retiré un attribut à la BCE ? En effet, la BCE ne peut pas être le prêteur en dernier ressort de la monnaie centrale qu'elle gère (une aberration, pour tout vous dire).

 

Et c'est bien là la faille dramatique de cette construction eurocratique :

« Il est de ce fait juridiquement impossible à la BCE d'éradiquer la contagion lorsqu'elle s'empare de l'ensemble des marchés de dettes publiques. » (p.47)

 

Quelles sont les 3 recommandations de Michel Aglietta pour sortir de cette crise ?

« (…) faire de l'euro une monnaie complète en modifiant le mandat de la BCE, construire une gouvernance économique par l'élaboration des budgets faisant dialoguer le niveau européen et les instances législatives nationales, mutualiser les dettes publiques dans un puissant marché financier d'obligations communes (eurobonds). » (p.15)

Lors de la création de l'euro, la France et l'Allemagne s'opposaient déjà sur la 1ère recommandation, et bien que l'Allemagne ait récolté les bénéfices sonnants et trébuchants de sa vision asymétrique de la construction européenne, ce qu'elle défend ardemment aujourd'hui en présentant une « lecture moralisatrice » de la crise, l'expert Aglietta nous propose le menu surréaliste d'une politique fiction que l'on peut résumer de la sorte : poursuivons notre marche en avant fédéraliste, même si certains partenaires (comme l'Allemagne) refusent de fait les principes du fédéralisme !

Ce n'est pas raisonnable.

 

Bien sûr, Aglietta ne pouvait pas ignorer la Grèce. Après avoir établi les similitudes avec l'Argentine de 2001, comme d'autres économistes ont fait avant lui, il en vient à conclure que :

« Dans ces conditions, la voie argentine devient la seule issue possible. C'est le pari sur le rétablissement de la compétitivité par la reconquête de la souveraineté monétaire grâce à la sortie de la zone euro. » (p.81)

Et mieux encore, faisant ainsi la démonstration de son honnêteté intellectuelle, puisqu'il met à bas un argument des tenants du maintien de la Grèce dans l'euro, en évaluant le coût financier des 2 scenarii (maintien ou sortie) :

« En ce qui concerne le coût financier des 2 scénarios pour la zone euro dans son ensemble, il se distribue différemment dans le temps, mais il est grosso modo équivalent dans la durée. » (p.79)

Si la pseudo élite qui gouverne la Grèce depuis presque 40 ans est correctement informée (n'est-ce pas l'obligation morale de tous les gouvernants que de veiller à la qualité de leurs informations ?), elle sait qu'en dernière analyse le sort du peuple grec ne dépend que d'elle puisque, quelle que soit sa décision, le coût financier pour la zone euro est le même. Ce qu'on ne peut pas dire pour le peuple grec !

Selon nous, la recommandation d'Aglietta pour la Grèce met en évidence l'incohérence du projet monétaire des européistes qui s'arcboutent sur l'euro de Maastricht, alors que cet instrument monétaire volontairement bridé est paradoxalement un obstacle à leur projet fédéraliste.

Il ne faut pas s'étonner que Michel Aglietta arrête son analyse au cas de la Grèce. Car s'il avait exposé sérieusement le cas de l'Espagne, du Portugal, et même de la France, il en serait venu forcément à dresser un bilan négatif et surtout une prévision catastrophique de l'aventure maastrichtienne, toutes choses égales par ailleurs, comme les européistes Patrick Artus et Isabelle Gravet :

« Sans fédéralisme, l'hétérogénéité reste insupportable car elle ne peut être corrigée que par un profond appauvrissement des pays en difficulté. » (La crise de l'euro, Armand Colin, 2012, 180 pages, 16,50 €)

Ne pas s'engouffrer dans la faille de l'Europe eurocratique est la raison de cette lacune du pensum d'Aglietta. Il faut croire que le non masochisme est la limite à l'honnêteté intellectuelle.

 

Ainsi force est de constater que dans l'urgence les économistes européistes prônent maintenant le plongeon sans filet démocratique dans le fédéralisme : ils rêvent d'une nouvelle maison en partant de fondations ayant un vice caché.

Est-ce bien raisonnable ?

 

 

Voyons maintenant l'omission.

Concernant l'analyse de la construction de l'euro, Michel Aglietta reconnaît que le compromis fondateur de 1991 « a moulé la zone euro sur la doctrine monétaire de l'Allemagne » (p.83), que la position de l'Allemagne vaut celles du passé, à savoir :

ñ    opposition à la tentative de rénovation du SMI par le Comité des Vingt de 1972 à 1974 (refus des ajustements symétriques des pays excédentaires et déficitaires) ;

ñ    en 1979, lors de la création du Système Monétaire Européen (SME), l'Allemagne impose un système reposant sur les ajustements asymétriques des autres monnaies.

Mais pas un mot sur l'analyse connue (ô combien plus exhaustive, plus perspicace) de Jacques Sapir (1), qui démontre que seule l'Allemagne avait vraiment compris l'avantage concurrentiel énorme qu'elle s'octroyait (avec notamment l'accord des piètres négociateurs français aveuglés par leur européisme et leur intérêt politicien national de court terme) en défendant strictement ses intérêts économiques nationaux.

Cet oubli dénote une petitesse d'esprit.

 

 

Concluons : seul l'intégrisme européiste permet d'expliquer la proposition affligeante de Michel Aglietta, parce qu'il reconnaît tout de même que pour la Grèce la sortie de l'euro est une issue possible, prouvant ainsi qu'il n'est pas toujours caricatural.

 

 

Alexandre Anizy

 

(1) : lire notre billet

http://www.alexandreanizy.com/article-euro-pourquoi-l-allemagne-voulait-la-monnaie-unique-114734485.html