L'annonce d'un pays par Marie-Hélène Lafon

Publié le par Alexandre Anizy

            Même si elle n'obtiendra pas le Goncourt 2014, il nous faut reparler de Marie-Hélène Lafon, puisque nous en avons dit le plus grand bien (1). Voyons deux autres romans.

 

            Dans L'annonce (Buchet-Chastel, 2009, livrel à 4,99 €), le paysan célibataire a écrit au Chasseur pour trouver une compagne qui accepte l'idée d'une nouvelle vie à la campagne :

            « La cour était vide, ourlée de vent vert, écrasée de soleil neuf. Paul s'était d'abord tenu là, apaisant la chienne, lui parlant lui disant, c'est Annette c'est Eric ils vont habiter avec nous. Ils étaient restés les trois debout dans la lumière folle. La chienne avait léché les mains du garçon qui ne bougeait pas, et les yeux agrandis, buvait tout, la cour les arbres le trou noir du vieux four à pain où l'on remisait les outils, et les cages des lapins contre le mur du fond. » (p.11/89)

La rencontre de ces échangistes-là, ce qui pousse la femme au grand chambardement, et comment elle comprend intuitivement les choses qu'elle doit faire et accepter, ou bien ne pas, comment le Paul bouleverse son propre milieu familial, finalement comment ils semblent réussir, voilà le sujet de ce roman sans fioriture.

            « La mère d'Annette avait compris ces choses et beaucoup d'autres, qu'elle n'aurait pas su dire avec des mots, privée qu'elle était, comme sa fille, de tout commerce aisée avec le verbe. » (p.19/89)

Même sans points-virgules, le style de Marie-Hélène Lafon se reconnaît : il parle avec douceur ou bien rudesse, selon le caractère des personnages, d'un monde qui survit dans une France en déliquescence.

 

NB : ce roman nous rappelle la belle chanson de François Béranger, Département 66, qui raconte le retour et la solitude d'un homme dans son village désert : c'était en 1974...

 

Dans Les pays (Buchet-Chastel, 2012, livrel à 10,99 € - trop cher !), Marie-Hélène Lafon évoque la fuite d'une autre femme, une enfant qui justement refuse cette vie moribonde dans la verdure et parvient à monter à Paris pour de longues études.

            « Avec des femmes comme Claire, qui ne voulaient pas se charger d'une famille, supporter un mari, des enfants, et habitaient dans des appartements bourrés de livres, allaient à des spectacles ou voir des peintures dans des musées, à Paris en Autriche à New York, au lieu d'élever des gosses et de s'occuper d'une maison, avec rien que des femmes comme elle, qui gagnaient leur argent sans attendre après les hommes, ça serait bientôt la fin du monde. Le bref séjour annuel à Paris permettait au père de mesurer la distance creusée entre Claire et lui par cela même qu'il avait toujours souhaité pour ses filles, la réussite dans les études et un métier stable. » (p.85/97)

On vous le redit : Marie-Hélène Lafon est en train de bâtir un chef d'œuvre. Tant pis pour les Goncourt !

 

Alexandre Anizy

 

(1)  http://www.alexandreanizy.com/article-lire-et-promouvoir-le-joseph-de-marie-helene-lafon-124741797.htm

Publié dans Notes culturelles

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