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Zone euro : le fol jusqu'au-boutisme d'un Michel Aglietta

Publié le par Alexandre Anizy

Tous les ans et même parfois avant, Michel Aglietta, le pape de l'école de la régulation, livre un pensum où il rabâche ses recommandations économiques à partir de son analyse incomplète et erronée. On peut dire qu'il résume bien la doxa eurocratique. En 2013, c'est avec un old deal pour l'€urope où il cornaque un Thomas Brand ; mais comme ce n'est qu'une espèce de resucée du précédent, Zone euro éclatement ou fédéralisme (Michalon, 2012, 188 pages, 15 €), nous en resterons à celui-ci.

 

Disons pour commencer que le livre est une promesse non tenue (avec les européistes, c'est une habitude), puisque l'auteur n'expose pas dans une ampleur satisfaisante l'hypothèse d'un éclatement de la zone euro : il suffit de parcourir le sommaire pour s'en convaincre. Nous irons donc directement à l'objet de notre billet : les incohérences et l'omission de l'auteur.

 

 

2 mensonges en 2 phrases :

« L'euro porte une promesse de souveraineté qui a été dévoyée jusqu'ici. Cette aporie dramatique de l'union monétaire était sournoise. » (p.42)

Où le spécialiste des monnaies, coauteur d'un ouvrage remarquable titré La violence de la monnaie, a-t-il vu dans les textes fondateurs que l'euro est une promesse de souveraineté ? On ne le saura pas. Qui aurait dévoyée cette promesse ? On ne le saura pas non plus. Car dès la création de l'euro, l'expert Aglietta savait que :

« Toute la construction monétaire européenne repose sur une conception étroite et erronée de la monnaie, appelée monétarisme. Selon cette conception, la monnaie est neutre vis-à-vis des phénomènes économiques réels. » (p.43),

parce qu'il voyait, à moins d'être un imbécile aveugle, que :

« (…) le traité de Maastricht a conféré à la BCE un statut véritablement extraordinaire. Contrairement à toutes les BC du monde, sa légitimité n'est fondée sur aucune souveraineté politique. Elle est véritablement déterritorialisée. Elle ne doit même pas dialoguer avec les gouvernements ! » (p.44)

L'euro, monnaie unique (et non pas commune), est le fruit mûrement réfléchi (et défendu par des économistes réputés comme... Michel Aglietta) d'un compromis entre la France et l'Allemagne, dans lequel justement la souveraineté est sciemment écartée ! Dans ces conditions, comment l'apôtre de l'euro de Maastricht peut-il écrire que c'est « une monnaie incomplète », puisque les créateurs ont volontairement retiré un attribut à la BCE ? En effet, la BCE ne peut pas être le prêteur en dernier ressort de la monnaie centrale qu'elle gère (une aberration, pour tout vous dire).

 

Et c'est bien là la faille dramatique de cette construction eurocratique :

« Il est de ce fait juridiquement impossible à la BCE d'éradiquer la contagion lorsqu'elle s'empare de l'ensemble des marchés de dettes publiques. » (p.47)

 

Quelles sont les 3 recommandations de Michel Aglietta pour sortir de cette crise ?

« (…) faire de l'euro une monnaie complète en modifiant le mandat de la BCE, construire une gouvernance économique par l'élaboration des budgets faisant dialoguer le niveau européen et les instances législatives nationales, mutualiser les dettes publiques dans un puissant marché financier d'obligations communes (eurobonds). » (p.15)

Lors de la création de l'euro, la France et l'Allemagne s'opposaient déjà sur la 1ère recommandation, et bien que l'Allemagne ait récolté les bénéfices sonnants et trébuchants de sa vision asymétrique de la construction européenne, ce qu'elle défend ardemment aujourd'hui en présentant une « lecture moralisatrice » de la crise, l'expert Aglietta nous propose le menu surréaliste d'une politique fiction que l'on peut résumer de la sorte : poursuivons notre marche en avant fédéraliste, même si certains partenaires (comme l'Allemagne) refusent de fait les principes du fédéralisme !

Ce n'est pas raisonnable.

 

Bien sûr, Aglietta ne pouvait pas ignorer la Grèce. Après avoir établi les similitudes avec l'Argentine de 2001, comme d'autres économistes ont fait avant lui, il en vient à conclure que :

« Dans ces conditions, la voie argentine devient la seule issue possible. C'est le pari sur le rétablissement de la compétitivité par la reconquête de la souveraineté monétaire grâce à la sortie de la zone euro. » (p.81)

Et mieux encore, faisant ainsi la démonstration de son honnêteté intellectuelle, puisqu'il met à bas un argument des tenants du maintien de la Grèce dans l'euro, en évaluant le coût financier des 2 scenarii (maintien ou sortie) :

« En ce qui concerne le coût financier des 2 scénarios pour la zone euro dans son ensemble, il se distribue différemment dans le temps, mais il est grosso modo équivalent dans la durée. » (p.79)

Si la pseudo élite qui gouverne la Grèce depuis presque 40 ans est correctement informée (n'est-ce pas l'obligation morale de tous les gouvernants que de veiller à la qualité de leurs informations ?), elle sait qu'en dernière analyse le sort du peuple grec ne dépend que d'elle puisque, quelle que soit sa décision, le coût financier pour la zone euro est le même. Ce qu'on ne peut pas dire pour le peuple grec !

Selon nous, la recommandation d'Aglietta pour la Grèce met en évidence l'incohérence du projet monétaire des européistes qui s'arcboutent sur l'euro de Maastricht, alors que cet instrument monétaire volontairement bridé est paradoxalement un obstacle à leur projet fédéraliste.

Il ne faut pas s'étonner que Michel Aglietta arrête son analyse au cas de la Grèce. Car s'il avait exposé sérieusement le cas de l'Espagne, du Portugal, et même de la France, il en serait venu forcément à dresser un bilan négatif et surtout une prévision catastrophique de l'aventure maastrichtienne, toutes choses égales par ailleurs, comme les européistes Patrick Artus et Isabelle Gravet :

« Sans fédéralisme, l'hétérogénéité reste insupportable car elle ne peut être corrigée que par un profond appauvrissement des pays en difficulté. » (La crise de l'euro, Armand Colin, 2012, 180 pages, 16,50 €)

Ne pas s'engouffrer dans la faille de l'Europe eurocratique est la raison de cette lacune du pensum d'Aglietta. Il faut croire que le non masochisme est la limite à l'honnêteté intellectuelle.

 

Ainsi force est de constater que dans l'urgence les économistes européistes prônent maintenant le plongeon sans filet démocratique dans le fédéralisme : ils rêvent d'une nouvelle maison en partant de fondations ayant un vice caché.

Est-ce bien raisonnable ?

 

 

Voyons maintenant l'omission.

Concernant l'analyse de la construction de l'euro, Michel Aglietta reconnaît que le compromis fondateur de 1991 « a moulé la zone euro sur la doctrine monétaire de l'Allemagne » (p.83), que la position de l'Allemagne vaut celles du passé, à savoir :

ñ    opposition à la tentative de rénovation du SMI par le Comité des Vingt de 1972 à 1974 (refus des ajustements symétriques des pays excédentaires et déficitaires) ;

ñ    en 1979, lors de la création du Système Monétaire Européen (SME), l'Allemagne impose un système reposant sur les ajustements asymétriques des autres monnaies.

Mais pas un mot sur l'analyse connue (ô combien plus exhaustive, plus perspicace) de Jacques Sapir (1), qui démontre que seule l'Allemagne avait vraiment compris l'avantage concurrentiel énorme qu'elle s'octroyait (avec notamment l'accord des piètres négociateurs français aveuglés par leur européisme et leur intérêt politicien national de court terme) en défendant strictement ses intérêts économiques nationaux.

Cet oubli dénote une petitesse d'esprit.

 

 

Concluons : seul l'intégrisme européiste permet d'expliquer la proposition affligeante de Michel Aglietta, parce qu'il reconnaît tout de même que pour la Grèce la sortie de l'euro est une issue possible, prouvant ainsi qu'il n'est pas toujours caricatural.

 

 

Alexandre Anizy

 

(1) : lire notre billet

http://www.alexandreanizy.com/article-euro-pourquoi-l-allemagne-voulait-la-monnaie-unique-114734485.html

 

 

Revenir au franc pour lancer l'écu avec Frédéric Lordon

Publié le par Alexandre Anizy

Dans notre billet économique précédent, nous rappelions à Benjamin Coriat et Thomas Coutrot une règle indispensable au débat et au savoir-penser, puisqu’ils ont commis un procès d’intention en présentant Frédéric Lordon et Emmanuel Todd en réactionnaires d’une nation fantasmatique (1). Aujourd’hui, nous allons présenter la position de Frédéric Lordon concernant l’euro, telle qu’il l’expose dans le Monde Diplomatique d’août 2013.

 

Cela commence bien :

« Beaucoup, notamment à gauche, continuent de croire qu’on va changer l’euro. Qu’on va passer de l’euro austéritaire présent à l’euro enfin rénové, progressiste et social. Cela n’arrivera pas. »

Pourquoi ?

« 1. Jamais les marchés ne laisseront s’élaborer tranquillement, sous leurs yeux, un projet qui a pour évidente finalité de leur retirer leur pouvoir disciplinaire ; 2. Sitôt qu’un tel projet commencerait d’acquérir un tant soit peu de consistance politique et de chances d’être mis en œuvre, il se heurterait à un déchaînement de spéculation et à une crise de marché aiguë qui réduiraient à rien le temps d’institutionnalisation d’une construction monétaire alternative, et dont la seule issue, à chaud, serait le retour aux monnaies nationales. »

 

Lordon revient alors sur les pauvres idées des européistes (grosso modo : misons cette fois-ci sur les euro-obligations, ou mieux encore, un saut démocratique vers un gouvernement économique de la zone euro – ce fantasme des populistes PS lors des campagnes électorales), qu’il qualifie de solutions de carton, puisqu’il caractérise fort justement la construction européenne comme une soustraction de souveraineté économique et politique. Et depuis 2007, plus rien n’est à négocier puisque tout est inscrit dans le Traité européen : 

« Politique monétaire, maniement de l’instrument budgétaire, niveau d’endettement public, formes du financement des déficits : tous ces leviers fondamentaux ont été figés dans le marbre. » ;

C’est pourquoi « les indigentes trouvailles du concours Lépine européiste sont vouées à systématiquement passer à côté du problème central », qu’on peut résumer par cette citation :

« Car certains Etats membres ont besoin de dévaluation ; certains, de laisser se creuser les déficits ; certains, de répudier une partie de leur dette ; d’autres, d’inflation. Et tous ont surtout besoin que ces choses-là redeviennent des objets possibles de délibération démocratique ! Mais les principes allemands, inscrits dans les traités, l’interdisent… »

Alors que faire ?

Selon Frédéric Lordon, sortir de l’euro monnaie unique pour entrer dans l’euro monnaie commune.

 

Qu’est-ce qu’un euro commun ? Une monnaie dotée de représentants nationaux : euro-francs, euro-pesetas, etc.

« Ces dénominations nationales de l’euro ne sont pas directement convertibles à l’extérieur (en dollars, en yuans, etc.), ni entre elles. Toutes les convertibilités, externes et internes, passent par une nouvelle BCE, qui fait office en quelque sorte de bureau de change, mais est privée de tout pouvoir monétaire. »

Ainsi les gouvernements des Etats membres retrouveraient la maîtrise des outils de l’action politique :

« Nous voilà donc débarrassés des marchés de change intra-européens, qui étaient le foyer de crises monétaires récurrentes à l’époque du Système Monétaire Européen (SME), et protégés des marchés de change extra-européens par l’intermédiaire du nouvel euro. C’est cette double propriété qui fait la force de la monnaie commune. »

Et les peuples retrouveraient leurs souverainetés. Pour être précis, Lordon suggère de configurer la monnaie commune « à la manière de l’International Clearing Union proposée par John Maynard Keynes en 1944 ». C’est une proposition très intéressante.

 

L’auteur poursuit son raisonnement avec 2 scénarii. S’il s’agit d’instaurer une souveraineté populaire supranationale, il faut redimensionner le projet européen, et pour sa partie économique, il faut exclure les Etats membres qui n’approuveraient pas les grands principes de politique économique… S’il s’agit seulement de donner une monnaie commune à un grand marché européen, il ne faut retenir comme Etats membres que « des pays dont le salaire moyen ou minimum n’est pas inférieur à 75 % - ou quelque autre seuil à déterminer – de la moyenne des salaires moyens ou minima des autres Etats membres ».

Et à ce stade du raisonnement, Lordon constate que « c’est ici qu’on revient au syllogisme de départ : l’idée de passer de l’euro actuel à un euro refait et progressiste est un songe creux. Par construction, s’il est progressiste, les marchés financiers, qui ont tout pouvoir actuellement, ne le laisseront pas advenir. » 

Frédéric Lordon n’ignore donc pas le principe de réalité.

 

Alors que faire ?

Il faut laisser aux polytechniciens rêveurs, comme Michel Aglietta, et aux matheux ratés, comme Olivier Blanchard (2) ou Gérard Debreu, les constructions théoriques des sciences économiques qui ne voient jamais le jour ou qui ne marchent pas. Nourris des travaux de recherche, les économistes politiques doivent prôner des solutions réalistes, prenant en considération les rapports de force économiques et politiques.

Ce que dit Lordon :

« sauf la grande anesthésie définitive dans l’euro antisocial, on y reviendra [aux monnaies nationales, ndAA]. C’est là la sanction d’une construction incapable d’évoluer pour s’être privée elle-même de tout degré de liberté ».

Mais comme « ce retour forcé aux monnaies nationales, sonnant comme un échec, aura des effets dépressifs », il faut « prendre le parti de "tomber sur la monnaie commune", c'est-à-dire de provoquer la déflagration des marchés en annonçant ce projet-là, en le posant fermement comme l’horizon d’une volonté politique d’un certain nombre de pays européens (…) ».

 

Force est de constater que Frédéric Lordon propose un chemin réaliste et raisonnable, que nous résumons par "Revenir au franc pour lancer l'écu" : le projet d’une Europe solidaire, plus que nécessaire dans un XXIe siècle certainement mouvementé de par le monde. 

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire la réponse politique percutante de Jacques Nikonoff (avec Gilles Amiel de Ménard et Claude Lioure) dans le Marianne du 17 août 2013.

(2) : pour Aglietta et Blanchard, lire les billets que nous avons consacrés à ces deux énergumènes.

 

 

Coriat et Coutrot 2 économistes atterrés et désobligeants

Publié le par Alexandre Anizy

Benjamin Coriat et Thomas Coutrot font partie du collectif des Economistes Atterrés, pièces majeures de cette association de salubrité intellectuelle qui ambitionne d’apporter au peuple d’autres informations, d’autres modèles économiques, que celles dont les grands médias abreuvent le public en perfusion continue. C’est pourquoi nous nous étonnons de leur tribune désobligeante (dans Marianne du 27 juillet 2013, un magazine qui vire au collage de brèves dans un torchon  commercial, sous la maquette du vieux JFK) à l’égard de Frédéric Lordon (un autre EA) et d’Emmanuel Todd, qui osent penser différemment.  

 

Que leur reprochent-ils ?

« On ne comprend rien à l’histoire récente si l’on oublie qu’après la Seconde Guerre mondiale l’obsession des élites occidentales (…) prévenir un nouvel affrontement franco-allemand. »

Pour leur part, ils semblent négliger le rôle néfaste d’un certain Jean Monnet (1), un haut fonctionnaire "américain au passeport français", comme pourrait dire l’infâme Eric Besson.

« A dénoncer "la dérive autoritaire de l’Allemagne" (Todd) "qui impose tel quel son propre modèle de politique économique" (Lordon), nos duettistes nient l’adhésion complète des élites européennes au projet néolibéral. »

Même si nous ne sommes que lecteur et pas un exégète de Todd ou de Lordon, il nous paraît absurde et surtout faux d’écrire que ces duettistes ne veulent pas voir le consensus de l’oligarchie européenne sur l’agenda néolibéral.

 

Concernant Emmanuel Todd, puisque Coriat et Coutrot raillent aujourd’hui le Todd de mars 2012 qui voyait du Roosevelt chez Hollande, nous soulignons qu’à cette date-là nous n’étions pas nombreux à dire que parler de "hollandisme révolutionnaire" était une stupidité (2). Il est vrai que nous étions alors en pleine campagne présidentielle : il ne fallait donc pas désespérer Billancourt, diviser son camp, et autres balivernes de propagande de populistes.

 

La critique de Coriat et Coutrot s’épuise vite quand ils envisagent des ruptures politiques, sans doute d’abord en Grèce, au Portugal ou en Espagne, ou bien une rupture imposée (par la BCE par exemple) dans la zone euro, car nous n’avons jamais lu que Todd et Lordon s’opposent « à la construction, dans le feu des luttes, d’une nouvelle conscience collective européenne fondée sur la solidarité et la responsabilité sociale et écologique. »

En fait, cette tribune n’est qu’un procès d’intention.

 

Mais il y a peut-être du Toni Negri chez Coriat et Coutrot, le Negri qui milite pour le Traité européen de 2005, parce qu’il considère qu’il doit favoriser la concentration inéluctable des pouvoirs économiques et politiques dans une économie capitaliste, pour que le fruit tombe dans les mains d’un prolétariat élu… Comme disait Georges Gurvitch, la dialectique transcendante et apologétique d’un matérialisme historique (infantile), en guise de socle théorique de la fuite en avant vers l’économie communiste de marché… Passons, puisqu’ils valent mieux que des idiots utiles.

 

Pour autant, il est bon de leur dire qu’un intellectuel est toujours sur la mauvaise pente quand il refuse d’estimer la position d’autrui, quand il commence à penser et à proclamer que l’intelligence est de son côté :

« Oui, l’intelligence est aujourd’hui de travailler à la solidarité des peuples et des destins en Europe plutôt que de préconiser le repli sur des bases nationales qui n’ont plus de réalité que fantasmatique. »

Ainsi ceux qui n’ânonnent pas la doxa eurocratique (en gros, le système Monnet : c’est parce qu’il n’y a jamais assez d’Europe qu’il faut en remettre une couche fédérale … et demain ça ira mieux !) sont au mieux des économistes aveuglés, au pire des imbéciles.

A quand la réification des adversaires, comme au "bon vieux temps" ?

 

Si on veut débattre pour que le peuple puisse décider en connaissance de causes, il ne sert à rien d’être désobligeant. Si la politesse n’est pas une vertu, elle est la condition pour que celles-ci apparaissent.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : lire le livre La faute de M. Monnet de Jean-Pierre Chevènement  

  

(2) lire notre billet du 4 mars 2012

          http://www.alexandreanizy.com/article-l-hollandisme-revolutionnaire-est-un-pari-stupide-100715653.html   

 

(3) lire notre billet où il est question de l’économie communiste de marché

          http://www.alexandreanizy.com/article-16224090.html 

 

La griffe de Don Winslow

Publié le par Alexandre Anizy

Si vous voulez comprendre un peu ce qui se passe depuis 40 ans en Amérique centrale et latine, nous vous conseillons de lire le polar de Don Winslow titré La griffe du chien (Points poche, 2008, 827 pages). 

 

Il vous raconte le Mexique (mais pas seulement), un pays gangréné par la corruption à tous les étages, et comment l'argent passe de l'illégal au légal, comment les USA ont formé et financé les fameux Contras au Nicaragua, mais aussi les escadrons de la mort, comment l'argent de la drogue pourrit un pays en permettant aux voyous de s'insérer dans la classe dominante. Ce livre repose sur une connaissance des méthodes du monde du crime.

 

Il y a aussi un travail remarquable sur l'architectonique, couplé à une écriture soignée qui veille à l'authenticité du langage des protagonistes.

Que du bonheur pour les lecteurs avertis et exigeants !

 

 

Alexandre Anizy

 

 

La touche libertaire d'Albert Camus

Publié le par Alexandre Anizy

 

Cet automne, on va revoir Albert Camus sur les tables des librairies, lire les articles savants ou convenus dans les magazines influents, et puis entendre les hommages d'intellectuels narcissiques... nous en sommes déjà fort marris. Alors parlons du travail de Lou Marin sur les Ecrits libertaires d'Albert Camus (égrégores – éditions indigène, mars 2013, 337 pages, 18 €)

 

Il faut le faire ici parce qu'ailleurs on vous bercera souvent avec des propos pompeux sur les sempiternelles questions de l'humanisme, l'absurdité, la querelle avec Sartre et ses sbires... bref, les papiers recyclés d'incorrigibles bachoteurs. Albert Camus mérite mieux, et grâce à Lou Marin, les lecteurs curieux vont pouvoir le situer dans son environnement intellectuel complet, c'est à dire avec le courant anarchiste qui l'a aussi inspiré.

 

Pour vous encourager à lire ce livre avant de retourner à ceux de Camus, nous citons ici quelques passages qui nous ont rappelé L'homme révolté (avec le recul, nous savons que ce texte, avec d'autres, de Proudhon à Stirner sans oublier notre bon Montaigne,nous évita le dogmatisme et les errements autoritaires en vogue en ce temps-là).

A propos de la violence :

« Je crois que la violence est inévitable. Les années d'occupation me l'ont appris. Je ne dirais donc point qu'il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique en effet. Je dis seulement qu'il faut refuser toute légitimation de la violence. Elle est à la fois nécessaire et injustifiable. Alors, je crois qu'il faut lui garder son caractère exceptionnel, précisément, et la resserrer dans les limites qu'on peut. Cela revient à dire qu'on ne doit pas lui donner de significations légales ou philosophiques. » (p.82) (1)

A quoi il faut ajouter :

« J'ai horreur de la violence confortable. C'est un peu facile de tuer au nom de la loi ou de la doctrine. J'ai horreur des juges qui ne font pas le travail eux-mêmes, comme tant de nos bons esprits. » (p.82)

A propos du journalisme :

« (…) Tolstoï disait que le journalisme est un bordel intellectuel et la littérature d'aujourd'hui est le plus souvent du journalisme coupé en tranches. » (p.283)

 

Nous ne pouvons pas ne pas citer ces paroles de René Char (ami de Camus) :

« Quand on sait pourquoi cette meute française, qui s'enflamme pour des ouvrages de sots, s'acharne contre "Camus et son œuvre", on ne s'interroge pas plus avant, et on tourne son dégoût, on vire à l'opposé de cette espèce de pétainisme inverti, perverti, qui est le lot d'intellectuels d'aujourd'hui fardés au progressisme. A l'opposé, vous ne pensez pas que je ne distingue le vis-à-vis sanglant, n'est-ce pas, le fascisme si réellement personnifié par les têtes mitraillantes de l'OAS – cette triperie de plastiqueurs – tapotées par le Pouvoir dont elles sont devenues la deuxième colonne après en avoir été la première. Faire de la confiture sur la déconfiture ne mènera à rien de bon. Nous verrons. De beaux jours se combinent pour les crocodiles de l'efficacité. » (p.243-244)

 

 

Rendons la parole à Camus :

« Non, le pouvoir rend fou celui qui le détient. » (p.320)

 

[l'agitation permanente d'un Sarkozy de Nagy Bocsa, le Guignol's circus estival d'un Hollande: 2 faces de la même pièce]

Pour notre part, nous précisons : il faut une dose de folie pour partir à la conquête du pouvoir.

 

« Je crois en une Europe unie, s'appuyant sur l'Amérique Latine et plus tard, quand le virus nationaliste aura perdu de sa force, sur l'Asie et sur l'Afrique. » (p.320)

C'est une vision plus stimulante intellectuellement que la ridicule perspective France 2025 commandée à la va-vite pour le plan communication de la rentrée gouvernementale !

 

 

Alexandre Anizy

 

(1) : en Syrie, le culbuto molletiste Hollande se met à la remorque des États-Unis, au prétexte de punir le dictateur Assad ; or les gouvernements n'ont pas de conscience, disait Camus.

Un monde paradoxal. La monarchie anglaise vient de donner une leçon de démocratie à la France républicaine : c'est le peuple ou ses représentants qui doivent décider des actes de guerre.

La France pourrit par sa psumpesque tête hollandaise.

 

 

Montaigne pour Compagnon

Publié le par Alexandre Anizy

Il faut remercier Antoine Compagnond'avoir réussi à rendre familier le sage Montaigne.Le public ne s'y est trompé, puisque le petit livre connaît actuellement le succès en librairie (Un été avec Montaigne, éditions des Equateurs – France Inter, avril 2013, 170 pages, 12 €).

 

On a tous en souvenir l'étude de quelques textes de Montaigne, estampillé figure incontournable de la littérature française que les programmes scolaires ont imposée, avec le profond ennui qui accompagna ces moments-là. Désormais, grâce au travail de Compagnon, il nous semble que la parole des professeurs est libérée. Ils pourront dépoussiérer la présentation du philosophe simple, à commencer par le style :

« Pour lui, les mots sont comme des vêtements qui ne doivent pas déformer le corps, mais le mouler, le laisser deviner (…). C'est encore une façon de refuser l'artifice, le maquillage. Non seulement Montaigne a choisi le français au lieu du latin, mais si un mot français lui manque, il n'hésite pas à recourir au patois, et il vante une manière d'écrire qui reste au plus près de la voix, "tel sur le papier qu'en la bouche". » (p.138) ;

parce que sur le fond, Montaigne sait que les mots l'expriment difficilement :

« A ses yeux, tous les troubles du monde – procès et guerres, litiges privés et publics – sont liés à des malentendus sur le sens des mots (...) » (p.30) ;

ce que le poète Paul Lacmain a condensé par :

« Les mots trahissent la pensée » (Oeuvres complètes, sur Amazon à 2,99)

 

Il nous plaît de voir qu'Antoine Compagnon a souligné l'attitude de Montaigne dans l'art de la conversation :

« Il semble donc un parfait honnête homme, libéral, respectueux des idées, n'y mettant aucun amour-propre, ne cherchant pas à avoir le dernier mot. Bref, il ne conçoit pas la conversation comme un combat qu'il faudrait emporter. » (p.14)

Bien des comètes médiatiques devraient y songer.

 

Heureusement pour nous, ce fut par un bel été du temps passé, avant le gavage scolaire, que nous découvrîmes les Essais. Et plus tard, nous croyions avoir séparé le bon grain de l'ivraie, quand nous fîmes au lycée une critique virulente et maladroite du stoïcisme de Montaigne, parce qu'en cette année-là le sang coulait à Santiago... nous étions déjà indignés, à la manière d'Albert Camus.

 

Hic et nunc, Compagnon le passeur a su parler de la substantifique moelle qui irrigue les Essaisde Montaigne : savourez-le avant que d'oser vous régaler !

 

Alexandre Anizy

 

Comme dans le Journal lacustre de Jean-Philippe Delhomme (exclusivité)

Publié le par Alexandre Anizy

A Paris, c’est au Chien qui fume qu’on me remit le nouveau roman de Jean-Philippe Delhomme, titré Journal lacustre (Exils, sortie en librairie le 22 août 2013, 203 pages, 18 €), ce qui me rappela le Lapin, haut-lieu de batailles politiques de lycéens enivrés bétonnant leur foi dans un avenir radieux, les mercredis brumeux à Verdun, tandis que les jeunes filles au goût surprenant déjà préféraient les joyeuses robes rouges.

La coïncidence ne serait pas fortuite. 

 

Jean-Philippe Delhomme invente les journées harassantes d’un écrivain gâté qui se la pète grave, et chacun pourra mettre le(s) nom(s) approprié(s) sur ce portrait d’humeur vagabonde, férocement drôle, délicieusement pervers. Peut-être le joyau du milieu germanopratin ?

Delhomme parsème des esquisses de croquis épurés dans son texte ciselé, et chaque jour en passant devant la Galerie Nicole Gogat, j’y repense en admirant les portraits plus subtils et aboutis de Cécile Desserle (1).

 

Dans le Journal lacustre, on parle beaucoup des femmes, surtout de celles qu’on chevauche gaillardement dans les herbes folles d’une île bretonne (?) ou dans les toilettes de l’Orient-Express, avant que de bourrer la dame dans une suite vénitienne ; de la grande bourgeoise à la libertine vénale (nouveau concept pour un directeur obsédé de Fonds qui n’a jamais été un puits), plus généralement appelée pute, monsieur fait ses exercices, comme le légendaire queutard de feu Dominique Rolin.

 

Concernant les petits déjeuners des écrivains américains qui remplissent de plus en plus les tables des librairies, le narrateur porte ce jugement implacable :

« Je laisse les œufs au lard, pommes de terres aux oignons, steaks saignants, et autres harengs à l’huile arrosés de café bouillant et d’une ou deux bières bien fraîches à la littérature américaine ! (…) Je ne souscris pas davantage au porridge bio accompagné de lait de soja des auteurs new-yorkais. Ce régime ne produit la plupart du temps qu’une fiction anémiée, dans laquelle l’auteur, sous prétexte d’humour, ne cesse de s’auto-dénigrer, s’efforçant d’établir une connivence pleutre avec son lecteur. Du moins, il me semble, car je n’en lis jamais, les comptes-rendus de ces livres m’assommant suffisamment. » (p.58)

 

Dans cette évocation de femmes insatiables et de futilités insignifiantes, où le nombril du Frog writer surpasse celui du bœuf, il me plaît d’apporter une précision concernant la tronçonneuse américaine, que le narrateur a achetée sur les conseils (p.80) de McGuane :

« — Oui madame. De toutes manières, il n’y a que moi qui sais la démarrer. C’est pas bien difficile, mais il faut avoir le coup de main.

   C'est-à-dire ?

    Hé bien, il faut mettre un peu de starter, mais pas trop, sinon ça la noie. Et tirer un coup sec. » (p.128)

Dans ce mode d’emploi, j’ai reconnu l’épuisante McCulloch jaune.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : un vernissage de l’artiste est annoncé pour la fin octobre : qu’on se le dise !

 

 

Tiphaine Samoyault est une bête de cirque

Publié le par Alexandre Anizy

 

« Qu’est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Peut-être toutes les ombres que cette chose a portées. (…) Un souvenir par seconde et l’âge que nous n’aurons jamais. »

Les pensées profondes d’une Parisienne lors d’une chute finale méritent-elles votre attention ? Non, pas vraiment.

« La première fois que j’ai vu tomber un arbre (…) un deuxième peu après. Pareillement la cime puis le houppier puis en deux fois le tronc. »

A ce dernier détail, nous devinons que Mme Samoyault a regardé les employés municipaux d’une ville abattre son décorum ; pour être précis, mieux vaudrait écrire découper, car en forêt, le bûcheron fait généralement tomber en un seul coup, puis il s’occupe du houppier. Donc, pour le savoir forestier, ce n’est pas du côté de chez Samoyault qu’il faudra chercher ; pour la nostalgie (« on se dit qu’on a vécu près d’un arbre, qu’on n’y a pas été sensible »), le lecteur écoutera plutôt Brassens ; pour l’histoire, on peut lire les chênes qu’on abat. (1)  

 

Bête de cirque est le titre du dernier roman de Tiphaine Samoyault (Seuil, février 2013, en livrel à 11,99 € - un prix exorbitant !), qui a réussi à nous mettre en rogne, nous qui lisons de plus en plus avec indulgence, avec le temps. Bien sûr, le fait qu’elle utilise son séjour engagé à Sarajevo comme un fond à son discours nombriliste de petite fille de Français moyen n’est pas étranger à cette poussée de fièvre anti-BHLévienne !

Que devons-nous comprendre à ce filet logorrhéique ?

« Mais, dis-moi, nous sommes en 2013, tu es revenue de Sarajevo, tu t’es remise à chercher d’autres asiles, tu cherches de nouveaux engagements, en auras-tu jamais fini d’« être née blanche, catholique, bourgeoise, bien dotée et bien douée » ? », écrivait Maurice Nadeau dans la Quinzaine Littéraire (n° 1080 de mars 2013).

Non, nous pensons qu’elle n’en finira pas, parce qu’elle aime être une bête de cirque. Mais comme elle ne blesse personne, semble-t-il, nous lui pardonnons déjà d’avoir grappillé deux heures de notre temps de lecture.

 

 

Alexandre Anizy

 

(1) : André Malraux.

 

Sonnenschein de Daša Drndić

Publié le par Alexandre Anizy

Sonnenschein (Gallimard, avril 2013, 513 pages, 25 €), c’est un roman documentaire (1) nous prévient l’auteur Daša Drndić (prononcer Dacha Derenditch). Mais ne soyez pas rebutés, car ce livre original est remarquable !

 

A travers une famille, il s’agit de donner à voir les bouleversements incessants dans la région de Trieste et de l’Europe, dans la première moitié du XXe. Les saloperies des monstres ordinaires, et leurs projets fous, seront décrits dans les détails : numéros des trains plombés, leurs contenances, etc.

 

Il faut saluer la hardiesse de Daša Drndić qui ose présenter (page 199 à 281 !) la liste de 9.000 Juifs déportés d’Italie ou assassinés en Italie et dans les pays qu’elle a occupés de 1943 à 1945, mais aussi les CV courts des coupables avec leurs méfaits. Après avoir lu ce roman documentaire, qui croira encore à la fable du « nous, on ne savait pas », en Allemagne et en Autriche notamment ?

 

Prévention : on entre difficilement dans l’histoire, du fait de l’accumulation nécessaire d’événements, de noms de gens et de lieux, mais l’architectonique étant de bonne facture et le style plaisant (saluons le traducteur Gojko Lukić), l’immersion devient inéluctable.

 

Bon, évidemment ce n’est pas un livre de plage.

Le texte de Daša Drndić est une gifle à l’Europe du silence d’après-guerre.

 

 

Alexandre Anizy

 

 

(1) : ce que nous avons entrepris avec le récit Instruction ordinaire, racontant un processus judiciaire (disponible en livrel partout sur Internet, à 2,99 €) : « un curieux livre citoyen », selon un libraire.

 

 

Pourquoi éditer en France un Boris Pahor de faible intérêt ?

Publié le par Alexandre Anizy

Connaissant l’estime que nous portons à Boris Pahor, vous devinez que nous n’avons pas hésité longtemps pour acquérir Quand Ulysse revient à Trieste (éditions Pierre-Guillaume de Roux, avril 2013, 329 pages, 25,50 € - pour une couverture d’un grammage insuffisant). On peut d’ailleurs penser que l’éditeur comptait sur ce réflexe conditionné pour se lancer dans la traduction et la mise sur le marché de cet ouvrage.

 

Ce fut une déception. Sans doute parce qu’il y a plusieurs livres possibles dans l’ouvrage, et qu’aucun n’est vraiment traité. Ni le retour du jeune soldat italien dans sa ville de Trieste après la chute de Mussolini, ni l’enrôlement de force des mêmes soldats par les Allemands, ni l’engagement dans la Résistance italienne mais un peu dans celle des Slovènes. Une seule idée lancinante parcourt ce roman : les Slovènes de Trieste sont humiliés (¹) (au début du XXe, d’abord par les Autrichiens, puis par les Italiens : ah ! l’italianisation forcée, l’incendie de la Maison du Peuple slovène par les fascistes…). Mais ce n’est pas suffisant.

 

Du coup, on s’interroge sur le pari de l’éditeur : parce que la vie est courte et le temps de lecture forcément compté, pourquoi mettre sur le marché français, avec une couverture médiatique de bon aloi, un texte faible de Boris Pahor ? N’est-ce pas le rôle social du milieu de l’édition que de séparer le bon grain de l’ivraie dans l’importation des grands auteurs contemporains ? Dans le cas présent, il faut savoir que des maisons d’édition ont déjà publié d’autres œuvres, et que l’auteur aura cent ans en août.

Nous craignons que le choix éditorial soit le fruit d’une logique marchande dégueulasse. 

 

 

Alexandre Anizy  

 

(¹) : Surtout ne pas imaginer Boris Pahor en nationaliste borné ! Il ne vit pas en Slovénie, et il est citoyen italien.